« La porte du voyage sans retour » est le surnom donné à l’île de Gorée, d’où sont partis des millions d’Africains au temps de la traite des Noirs.
C’est dans ce qui est en 1750 une concession française qu’un jeune homme débarque, venu au Sénégal pour étudier la flore locale. Botaniste, il caresse le rêve d’établir une encyclopédie universelle du vivant, en un siècle où l’heure est aux Lumières. Lorsqu’il a vent de l’histoire d’une jeune Africaine promise à l’esclavage et qui serait parvenue à s’évader, trouvant refuge quelque part aux confins de la terre sénégalaise, son voyage et son destin basculent dans la quête obstinée de cette femme perdue qui a laissé derrière elle mille pistes et autant de légendes.
S’inspirant de la figure de Michel Adanson, naturaliste français (1727-1806), David Diop signe un roman éblouissant, évocation puissante d’un royaume où la parole est reine, odyssée bouleversante de deux êtres qui ne cessent de se rejoindre, de s’aimer et de se perdre, transmission d’un héritage d’un père à sa fille, destinataire ultime des carnets qui relatent ce voyage caché.
David Diop : "J'aime ce goût pour les larmes dans la littérature du XVIIIe siècle"
David Diop, qui vient de signer le roman "La Porte du voyage sans retour", nous embarque au micro d’Arnaud Laporte dans ses imaginaires et son processus créatif. L'homme de lettres nous parle de son admiration pour Amadou Ampaté Ba, de son travail de la langue et du rôle de la littérature.
Goncourt des lycéens en 2018 et premier français ainsi que premier sénégalais a recevoir le très prestigieux International Booker Prize, le tout pour son deuxième roman Frère d’âme, David Diop a fait une entrée fracassante en littérature. Ecrivain français d’origine sénégalaise, il est également Maître de conférences en Littérature du XVIIIe siècle. Il revient avec un nouveau roman intitulé La Porte du voyage sans retour qui nous entraîne sur les traces d’un botaniste au XVIIIe siècle, inspiré du naturaliste français d’origine écossaise Michel Adanson, qui découvre le Sénégal. Une odyssée littéraire trépidante, entre roman d’aventure et roman d’amour, qui confronte l'idéal des Lumières aux réalités de la colonisation et de l'esclavage.
Dans "La Porte du voyage sans retour", je me réfère à un savant. Il était jeune, mais c'était un savant français au XVIIIe siècle, donc qui écrit dans un registre de langue qui peut apparaître comme étant soutenu, surtout s'il publie, ce qui est le cas de Michel Adanson. Mais je n'ai pas voulu singer la langue du XVIIIe siècle. Je n’ai pas souhaité que ce soit un pastiche, mais qu’il y ait un rythme dans le français, une sorte de goût pour les périodes aussi qui me fasse penser que là, c'était bien Michel Adanson qui pouvait avoir écrit ce cahier secret.
Tout l'enjeu du roman a été d'inventer une raison pour laquelle Michel Adanson pleurait.
Entre fiction et Histoire
Né en France, David Diop a toutefois grandi au Sénégal avant de revenir sur Paris pour ses études. Doctorat en littérature française du XVIIIe siècle en poche, il enseigne cette discipline à partir de 1998 en tant que Maître de conférences à l’Université de Pau. Avec sa casquette de littéraire, il a notamment publié Rhétorique nègre au XVIIIe siècle. Des récits de voyage à la littérature abolitionniste en 2018 qui a reçu le Prix Luc-Durand-Réville 2019 de l’Académie des sciences d’outre-mer.
Si j'aime travailler sur les textes anciens en essayant de les mettre en contexte, j'aime aussi les actualiser. Mais c'est interdit par nos travaux car ça ne passe pas dans les notes de bas de page. Donc, pour moi, la fiction, c'est une liberté. C'est une façon d'imaginer un personnage dans un contexte historique.
Dans les écrits de David Diop, la fiction vient souvent prendre le relai de ses découvertes en tant qu’historien de la littérature. Son premier roman 1889, l'Attraction universelle, paru en 2012, s’inscrit par exemple dans la continuité de sa réflexion sur l’empire colonial français. Il nous raconte l’histoire d’une délégation sénégalaise venue visiter l’Exposition universelle de 1889 et qui, montrée dans un « spectacle de nègres », se retrouve objet de curiosité à son tour.
Je réfléchissais dans ce travail universitaire sur la façon dont, dans les récits de voyages, les relateurs intègrent la parole de l'autre Africain.
Son projet littéraire n’est toutefois pas de réécrire l’Histoire de l’Afrique, mais plutôt de la traduire en littérature et d’explorer ses tiroirs secrets. Comme dans Frère d’âme, son deuxième roman paru en 2018, la fiction semble ainsi rendre la parole à des voix jusqu’alors muettes ou inaudibles et des destins de personnages oubliés.
Je voulais que ce tirailleur s'exprime sans filtre et que nous entendions sa voix intérieure. Une voix qui ne se censure pas car mon personnage était dans un état émotionnel qui a été celui de tous les combattants dont j'ai pu lire les témoignages
Dans "Frères d'âme", l'auteur africain parle, mais il n'y a plus cette médiation qui transforme cette parole et l'adapte à des règles de rhétorique qui les rendent audibles au moment où ces textes paraissent. Les grands discours d'émancipation ressemblent à des tirades de Shakespeare, alors qu'ils sont prononcés par Moses Bom Saamp qui est vraiment le symbole de la révolte des marrons de Jamaïque. Donc, ce qui m'intéressait était de voir comment la parole de l'autre Africain était enveloppée dans une rhétorique et dans un horizon d'attente.
Raconter l’autre
L’image de l’autre est un thème cher à la littérature de David Diop. Dans Frère d’âme, un hommage à son grand-père poilu qui servit de "chair à tranchée" pendant la Première Guerre Mondiale, l’écrivain met en exergue la fabrique occidentale de la "sauvagerie africaine" et de l’imaginaire du soldat noir anthropophage. Nécessaire, ce deuxième roman lève le voile sur tout un pan du colonialisme et de la guerre de 1914-1918. Le comédien Omar Sy en a lu une adaptation sur scène à Avignon dans le cadre de la programmation de France Culture (des lectures et des créations à l’antenne chaque jour à 20h). Ce programme est à retrouver ici :
C'était une émotion très forte parce que Omar Sy est un très grand acteur et il a une présence sur scène qui est assez extraordinaire. On en avait discuté et il m'avait dit que ce texte l'avait habité et qu'il souhaitait vraiment le lire. Quand on l'a entendu parler et dire, incarner cette voix, on a été extrêmement troublé.
Inspirée par le travail d’Ahmadou Kourouma, l’écriture de David Diop puise dans ses deux cultures, française et sénégalaise, et parachève leur symbiose via un travail singulier sur la langue qui teinte ses romans d'une grande poésie, sans jamais tomber dans l’écueil de l’exotisme.
Ahmadou Kourouma m'a beaucoup inspiré pour sa façon de traiter le français. Non pas de le maltraiter, mais d'en faire sa chose et sa langue d'écrivain.
Son nouveau roman La Porte du voyage sans retour a paru aux éditions du Seuil. Résumé de l'éditeur:
"La porte du voyage sans retour » est le surnom donné à l’île de Gorée, d’où sont partis des millions d’Africains au temps de la traite des Noirs. C’est dans ce qui est en 1750 une concession française qu’un jeune homme débarque, venu au Sénégal pour étudier la flore locale. Botaniste, il caresse le rêve d’établir une encyclopédie universelle du vivant, en un siècle où l’heure est aux Lumières. Lorsqu’il a vent de l’histoire d’une jeune Africaine promise à l’esclavage et qui serait parvenue à s’évader, trouvant refuge quelque part aux confins de la terre sénégalaise, son voyage et son destin basculent dans la quête obstinée de cette femme perdue qui a laissé derrière elle mille pistes et autant de légendes"
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