dimanche 10 avril 2011

Livre - H - La cité et ses esclaves - Paulin Ismard


 Ce livre vise tout d'abord à éclairer le lien étroit qui unit l'invention de la démocratie et l'esclavage en Grèce ancienne. En étudiant la façon dont est défini à Athènes l'homme-marchandise qu'est l'esclave, les formes d'organisation de son travail, ou encore le statut de sa parole dans l'espace judiciaire, il propose une analyse inédite du droit athénien de l'esclavage. Mais il entend surtout placer l'esclavage au cœur de nos réflexions sur l'expérience grecque, en éclairant la façon dont la cité des hommes libres est elle-même modelée par l'institution esclavagiste. L'imaginaire politique athénien, auquel nous associons l'expérience de l'autonomie politique, est en effet le produit de l'expérience esclavagiste. À travers l'esclavage, la cité pense et donne une forme à ses frontières, et c'est un certain rapport au corps, à l'écriture, ou à la notion même de représentation qui se trouve alors éclairé. Mais le livre entend aussi interroger les relations souterraines qui nouent l'histoire de l'esclavage antique à notre présent. Si nous prétendons aujourd'hui, à tort et à raison, être les héritiers de l'Antiquité gréco-romaine, en quoi l'esclavage, qui fut la condition même de son développement, a-t-il contribué à écrire une part de notre histoire au point de persister jusque dans notre plus extrême modernité ? Explorant, sous la forme d'essais libres, le droit du travail, la cybernétique, ou les formes modernes de la représentation politique, mais aussi convoquant Hermann Melville ou Aimé Césaire, Paulin Ismard en arrive à la conclusion que la configuration athénienne est d'une certaine façon encore la nôtre. Paulin Ismard est maître de conférences HDR en histoire grecque à l'université Paris 1 Panthéon Sorbonne, membre de l'Institut universitaire de France. Il a notamment publié L'Événement Socrate (Flammarion, 2013, Prix du livre d'histoire du Sénat) et La Démocratie contre les experts. Les esclaves publics en Grèce ancienne (Seuil, 2015, Prix des Rendez-Vous de l'Histoire de Blois, Prix François Millepierres de l'Académie Française).


Paulin Ismard, l’inquiétude de l’histoire

Ce spécialiste de la Grèce classique a entrepris, après la mort de son père, métis, de travailler sur l’esclavage, éclairant un point aveugle de la démocratie athénienne.

Son terrain d’enquête privilégié est la Grèce antique. Un fragment d’inscription par ici. Une phrase piochée dans un corpus cent fois rebattu par là. En jaillissent une hypothèse, puis une érudite démonstration. Celle-ci fait revivre des figures célèbres ou des noms arrachés à l’oubli, témoignant de la démocratie vibrante de paroles et de contentieux des cités hellènes. De récits en réflexions naissent de foisonnants ouvrages, éclairant le présent à partir des lointaines lumières athéniennes. Dans La Cité et ses esclaves, Socrate et Platon trouvent d’inattendus échos chez Herman Melville et Aimé Césaire.

Un passionné de philosophie politique venu à l’Antiquité

L’auteur est un historien qui préfère la place publique aux tours d’ivoire. Paulin Ismard n’est pas un militant mais un passionné de philosophie politique venu à l’Antiquité après avoir « trouvé dans des livres d’histoire ancienne des questions très amples et une grande liberté de propos ». Le Pain et le Cirque de Paul Veyne, La Cité divisée de Nicole Loraux, ont dérouté l’étudiant, alors à Normale-Sup, des périodes plus contemporaines auxquelles il s’intéressait.

« Il y a une dimension très spéculative dans le travail sur l’histoire antique, explique-t-il. On travaille sur un matériau très mince, dispersé et qui se renouvelle peu : à peine plus d’un millier de nouvelles inscriptions grecques sont découvertes chaque année, souvent très fragmentaires. Le propos se construit donc d’abord théoriquement. On finit parfois dans une impasse. Mais il y a aussi des trouées de lumière qui éclairent d’une nouvelle façon ces périodes anciennes. »

Lecteur de Claude Lefort et Jacques Rancière, le jeune helléniste s’est plongé dans l’étude de l’expérience démocratique athénienne des VIe et Ve siècles avant notre ère. Sa thèse de doctorat porte sur les associations qui constituaient un faisceau de groupes et de réseaux dans l’Athènes classique, en marge des institutions politiques.

En 2013, un premier ouvrage, L’Événement Socrate (1), cherche un public plus large que les cénacles universitaires. Le chercheur trentenaire développe plusieurs hypothèses sur les raisons de la condamnation à mort de Socrate par les juges athéniens, en 399 av. J-C. Il conclut que le principal différend sur lequel le philosophe joua sa vie portait sur le rôle du savoir dans la pratique démocratique de la cité.

Un an auparavant, un événement personnel avait mis en mouvement un nouvel axe de recherche, l’esclavage. Le père de Paulin Ismard décède. Il était métis, de père guadeloupéen. Même si la famille avait toujours vécu en métropole, des vacances sur l’île caraïbe et une présence toujours larvée de la question raciale entretenaient une certaine familiarité avec le sujet.

« Dans le Phédon de Platon, il y a cette scène finale inouïe où Socrate a décidé de mourir, dans un acte de dissidence portant sur une certaine idée de la cité. S’instaure alors un dialogue fascinant avec l’esclave public apportant la ciguë et qui est le seul à comprendre le sens de cette mort choisie. Un face-à-face mystérieux, intriguant, plein de confiance ».

L’esclavage dans les études sur la démocratie athénienne

Depuis lors, l’historien a braqué sa torche sur le point aveugle que constitue souvent l’esclavage dans les études sur la démocratie athénienne. Pour lui, aucun doute : l’une n’aurait pas pu fonctionner sans l’autre. La pratique de la démocratie directe nécessitait notamment dans les coulisses des experts qui étaient en même temps exclus des délibérations pour qu’aucun appareil ni aucun corps ne prennent le pouvoir. Le refus d’un pouvoir technocrate impliquait de confier l’expertise aux esclaves. Une réflexion menée dans La Démocratie contre les experts (2) publié en 2015 et qui s’achève sur le constat d’un « écart radical » entre l’Athènes classique et les pratiques démocratiques contemporaines en Europe.

Dans son nouvel ouvrage, Paulin Ismard pousse encore plus loin sa démonstration sur les liens étroits nouant l’invention de la démocratie et l’esclavage dans la Grèce ancienne. Et il explore, dans de passionnantes incises, comment cet héritage peut éclairer des enjeux très contemporains comme la personnalité juridique des robots, le rapport au travail ou les formes de représentativité politique.

À tout juste 41 ans, maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne et membre de lInstitut universitaire de France, Paulin Ismard déploie les ressources d’une approche comparatiste impulsée en leur temps par Louis Gernet, Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet. Il pilote ainsi un groupe de travail d’une quarantaine de chercheurs qui publiera prochainement une somme sur l’histoire moderne de l’esclavage. Avec une ligne de conduite : « Travailler sur l’Histoire, ce n’est pas apporter un savoir clés en main ; c’est inquiéter les certitudes du présent. »

 

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