vendredi 10 avril 2009

Livre - R - Traité de civilité puérile - Erasme

 



Bien qu'écrit à l'adresse du jeune prince Henri de Bourgogne, le Traité de civilité puérile est pensé pour l'éducation et l'élévation morale des enfants. Érasme, théologien âgé, alors au sommet de sa renommée, s'attache à les guider vers les règles élémentaires dela politesse et de la courtoisie. C'est que celui quifut précepteur dans ses jeunes années connaît la polissonnerie. En rédigeant les conseils de maintien et les leçons de conduite plus usuelles, Érasme inaugure un genre littéraire à part entière qui fera florès dans toutes les écoles chrétiennes.




La Civilité puérile d'Erasme

Paule CONSTANT, 27 juin 2001

C'est pour Henri de Bourgogne, "enfant de grande espérance", qu'Erasme, au sommet de sa gloire, rédige La Civilité puérile, mais au-delà du jeune prince il pense aussi aux enfants moins bien nés. C'est pour eux que son traité de savoir-vivre aura le plus d'importance. Compensant les hasards de la naissance, il leur permettra de trouver les armes de la survie et de la conquête du monde. Cette belle ambition dépassa toutes les espérances. En mettant par écrit les conseils de maintien et les leçons de conduite les plus usuelles, Erasme inaugura un genre littéraire à part entière. Son traité de civilité fut repris au fil du siècle puis refondu par Jean-Baptiste de la Salle qui fit de ce livre de politesse un vrai livre de lecture. Tous les enfants passant par les Ecoles chrétiennes apprendront à lire dans les caractères dits de civilité, et copieront des modèles d'écriture qui furent surtout des modèles de conduite. Et la civilité, à la fois courtoisie et politesse, maintien et soins d'hygiène, restera pour longtemps la part la plus importante de

tous les traités d'éducation, se substituant longtemps à l'instruction.

Le livre est étonnant par tout ce qu'il révèle des moeurs d'un enfant du XVIe siècle, qui aura à faire son chemin entre les écueils d'une vraie rusticité et d'une courtoisie trop raffinée. C'est contre la crasse, la crotte, la morve, les poux, Erasme l'écrit en toutes lettres, que l'enfant doit mener son premier combat et gagner la maîtrise de son corps. Il évitera les bruits incongrus, les giclures d'urine, les dégoulinures de morve, tout en s'abstenant de se gratter la tête, de se nettoyer les dents à la pointe du couteau ou de nourrir les chiens à table tout en se goinfrant jusqu'à vomir. Cette tâche de salubrité élémentaire s'accompagne simultanément d'exigences plus subtiles comme le port du chapeau, les salutations et autres révérences, la bonne place à table et surtout le contrôle de chaque trait du visage, de chaque mouvement du corps.

Le danger contre lequel Erasme met en garde son jeune élève est surtout un danger social.

Dans une communauté au sang chaud, il faut éviter le moindre signe de provocation. Un sourcil froncé, une bouche tordue, un rictus hautain, des jambes croisées alors qu'elles devraient être jointes, sont des prétexte suffisants pour attirer sur soi les foudres de gens qu'un rien blesse et qui exigent réparation à la pointe de l'épée. La leçon de politesse n'est pas une gymastique

hypocrite et vide de sens mais un code de survie dont on doit posséder le détail. Il n'est pas inutile, comme on le lira dans les traités de physiognomonie, de surveiller les signes

subliminaux qu'enverrait telle ou telle contraction de la face.

Pour convaincre son élève, Erasme se sert d'un merveilleux bestiaire plein de taureaux, de singes, de sangliers, de cigognes, de hérissons, de renards. En n'agissant pas selon les lois de la société humaine, l'enfant est menacé de tous les maux de l'animalité. Or élever un enfant n'est-ce pas, au XVIe siècle, pour un esprit aussi chrétien que celui d'Erasme, arracher l'enfance à l'animalité, redresser celui qui rampe, porter un mouchoir à la bouche qui bave, mettre des phrases sur les lèvres qui bredouillent, donner sa langue à la langue, vêtir, ceinturer, botter, chapeauter enfin?

C'est vers la morale, la plus belle des facultés humaine qu'il faut diriger l'enfant, en lui

montrant que les fautes contre l'apparence ou contre la société sont des fautes contre soi.

 

Les bonnes manières sont liées à la morale pour former une conduite. Erasme vise les défauts de l'époque. L'enfant doit certes éviter la violence, l'effronterie, la méchanceté, l'arrogance mais aussi la sournoiserie, la légèreté, l'imbécillité, la lascivité. Il se doit d'être franc, respectueux, discret, silencieux et pudique. En redressant le corps, en déterminant l'attitude, en choisissant le costume, en indiquant le discours, Erasme forme déjà un honnête homme.

En écrivant La civilité puérile, Erasme tient à rajeunir pour se mettre à la portée de son élève.

La réussite de son traité tient à ce qu'il n'est jamais pontifiant mais toujours explicatif, jamais général et abstrait mais toujours familier et concret. Il trouve un ton naturel pour parler de tout, dans le détail, et surtout expliquer et convaincre. Il n'est jamais là pour imposer des ordres, des règles ou des lois mais pour soutenir l'enfant et l'aider à trouver des solutions qui tiennent compte des exigences de la société et de celles de son tempérament.

Il y a chez Erasme un souci de la nature qui passe d'abord par le corps, la grande

préoccupation de la Renaissance. A la même époque Rabelais réglait la vie de Gargantua. Il arrachait son bon gros géant à l'oisiveté, à la bêtise, aux longues messes, au par coeur à l'endroit et à l'envers, pour lui apprendre les bains, le sport, la courtoisie et le dialogue avec Dieu. Erasme façonne plus qu'il ne réprime la complexion venteuse, cracheuse, bailleuse, presque rabelaisienne, de son jeune prince. C'est avec une profonde tendresse qu'il l'accompagne du lever au coucher en lui découvrant les obstacles d'une société qui se méfie des enfants et ne les accepte qu'à condition qu'ils soient, à l'âge de raison, de petits hommes ou de petites femmes. Il donne en plaisantant les recettes pour que l'enfant soit toléré et même aimé.

Avec Erasme, le traité de civilité n'est pas un art de feindre, mais un manuel d'intégration. Dans l'art d'instruire, il place la civilité au rang de la piété, des belles lettres et des devoirs de la vie. Il en fait une "humble section de la philosophie". Dans son projet perce l'ambition du pédagogue.

Ce n'est pas sans déplaisir qu'il envisage de "greffer" son sauvageon de prince, d'être au sens propre son tuteur, de le former coeur, esprit et corps, et ainsi de l'ajuster à une société...évidemment vertueuse.



Aucun commentaire:

Vocabulaire - Syndrome de l'imposteur

 Les personnes atteintes du syndrome de l'imposteur, appelé aussi syndrome de l'autodidacte, phénomène de l'imposteur, expérienc...