Un jeune homme, Hans Castorp, se rend de Hambourg, sa ville natale, à
Davos, en Suisse, pour passer trois semaines auprès de son cousin en
traitement dans un sanatorium. Pris dans l'engrenage étrange de la vie
des "gens de là-haut" et subissant l'atmosphère envoûtante du
sanatorium, Hans y séjournera sept ans, jusqu'au jour où la Grande
Guerre, l'exorcisant, va le précipiter sur les champs de bataille.
Chef-d'œuvre de Thomas Mann, l'un des plus célèbres écrivains allemands
de ce siècle, La Montagne magique est un roman miroir où l'on peut
déchiffrer tous les grands thèmes de notre époque. Et c'est en même
temps une admirable histoire aux personnages inoubliables que la lumière
de la haute montagne éclaire jusqu'au fond d'eux-mêmes.
La coproduction germano-franco-italienne
montée par le réalisateur allemand Geissendorfer pour cette adaptation
du roman de Thomas Mann ne connaîtra pas la postérité de Mort à Venise
de Visconti. Honnête, voire scrupuleux, c'est un film intelligent, mais
il prouve à quel point le cinéma peut être bête, parfois, par rapport à
la littérature.
Que faire
avec un tel volume ? Geissendorfer condense. Les trois premières
semaines du séjour de Hans Castorp au sanatorium Berghof, au-dessus de
Davos-Platz, qui prennent un quart du livre - et détachent le lecteur,
avec le héros, du " pays ", - forment un cinquième du film, générique
compris, soit une demi-heure elliptique. Le bon Joachim, malade rebelle
et cousin de Hans, a ici un rôle minime.
Les
récits se transforment en choses vues, et vice versa. La réminiscence
capitale de la scène où le petit camarade Hippe prête son crayon est
habilement placée en prologue, et le rapprochement établi par Hans avec
la belle Mme Cauchat se fera tout seul, plus tard. Cette forme de
déplacement se trouve ensuite essentiellement dans les dialogues, pour
que toutes les informations, même dans le désordre, soient présentes.
Ainsi de certaines remarques de l'Italien humaniste Settembrini et
d'allusions sommaires à la famille du jeune Hans (il manque cependant
son grand-père). Liant le tout, une voix off, discrète, trouve le juste
ton du pédagogue pour mettre à distance le protagoniste principal.
Faute
d'argent suisse, probablement, le réalisateur a laissé tomber les
paysages magiques des Grisons pour s'en tenir à quelques plans d'une
montagne standard. Il a aussi écarté les cigares avec lesquels Hans
entretenait une relation suivie. Les personnages du livre, enfin, sont
bien sûr triés et remodelés, avec quelque liberté, doit-on préciser : la
florissante Maroussia est par trop hystérique.
Dans
le détail, il y a une fidélité touchante, qui conduit Geissendorfer à
respecter le pantalon à carreaux de Settembrini et à insister gravement
sur le numéro 34 (chambre de Hans).
Dans
l'ensemble, les rapports de Hans avec ses compatriotes d'" en haut "
sont exacts, même raccourcis. Mise à part Marie-France Pisier, qui est
(faute du metteur en scène) une Clawdia raide, bêcheuse, que l'on a eu
tort de doubler puisque le modèle était russe et parlait allemand avec
un accent prononcé, les acteurs sont judicieusement choisis. Christoph
Eichhorn, malgré une névrose soulignée mal à propos, est bien ce " joli
bourgeois ", cet enfant "simple et gâté par la vie " ; Hans Christian
Blech est un docteur Behrens brutal à souhait, Rod Steiger un Peerperkom
plausible, et Aznavour un Naphta correctement jésuite.