Sous le pseudonyme de Fritz Zorn se cache un jeune homme pressé. Jeune - il n'a que 32 ans - et pressé d'écrire car il se sait condamné par un cancer qui ne lui laissera aucune chance. Pour qui a vécu, la seule pensée d'une mort imminente fait jaillir le squelette branlant d'une angoisse incompressible et dévorante. Fritz Zorn est à peine révolté, il n'a jamais vécu. Produit d'une éducation pour laquelle l'impassibilité devant les réalités concrètes (donc vulgaires) du monde tient lieu d'obligation morale, Zorn a toujours été un "hors la vie". Propre, sage et faisant honneur à sa famille, fleuron de la grande bourgeoisie zurichoise, il n'a jamais fait de vagues, s'est conformé, a emprunté docilement la voie qu'on lui avait tracé, a écouté la voix qui l'incitait à se méfier du monde extérieur et de ses vices. Pour cet homme qui observe avec simplicité qu'on l'a "éduqué à mort", le cancer n'est que l'issue naturelle d'un étouffement systématique de sa dynamique individuelle. Ce constat clinique, glacial sans être hermétique à l'humour, Zorn le livre dans sa version brute, pour que son lecteur comprenne. Mars est un témoignage sans précédent, la mise en accusation d'un système qui sacrifie ses enfants.
Zorn en allemand signifie "colère"
Fritz Zorn : “Mars” (Ça peut pas faire de mal)
L'émission de lectures “Ça peut pas faire de mal” est animée par Guillaume Gallienne tous les samedis sur les ondes de France Inter. Le 16 février 2013, l'émission était consacrée à “Mars”, l'unique roman de Fritz Zorn. Les textes lus à l'antenne sont extraits de l'édition Folio Gallimard, dans une traduction de Gilberte Lambrichs. Avec les voix de Chantal Thomas, Gilberte Lambrichs, Viviane Forrester (archives INA)
Mort à 32 ans d'un cancer, celui dont le nom de famille était "Angst", ce qui signifie "Peur" en allemand, s'est offert une renaissance, en choisissant comme nouveau nom de baptême celui de "Zorn", qui signifie "Colère". Le "crabe" marche toujours de côté. Après l'annonce de son "cancer", Fritz Zorn quant à lui, est allé droit de l'avant piétiner le vieil héritage mortifère de sa famille : le legs d'une société étouffant au sein d'une morale chrétienne maladive, qui a toujours cru bon de devoir se séparer de la sexualité, de la nier et de lui ôter tout plaisir, tout érotisme ; d'en faire une chose vide et inerte, un acte laid et sale dont on répugne même à mentionner l’existence. Fritz Zorn s'est débarrassé de la peau morte d'une vie castrée et, avant que de mourir, il s'est rebaptisé par la foudre. En revêtant les oripeaux de Mars et en brandissant son épée vengeresse, il a témoigné en vivant pugnace, en homme libre : dans une juste colère. Il est des mots qui, puisés au sein de cet ouvrage, me servent de viatique au quotidien : « Je crois que ne-pas-vouloir-déranger est quelque chose de mauvais parce qu’il faut justement qu’on dérange. Il ne suffit pas d’exister ; il faut aussi attirer l’attention sur le fait qu’on existe. Il ne suffit pas simplement d’être, on doit également agir. Mais qui agit dérange – et cela au sens le plus noble du terme. » Son livre "unique" est une œuvre qui cogne comme un cœur battant.
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