« Ce ne sont mes gestes que j'escris ; c'est moy, c'est mon essence. Je tien qu'il faut estre prudent à estimer de soy, et pareillement conscientieux à en tesmoigner : soit bas, soit haut, indifferemment. Si je me sembloy bon et sage tout à fait, je l'entonneroy à pleine teste. De dire moins de soy, qu'il n'y en a, c'est sottise, non modestie : se payer de moins, qu'on ne vaut, c'est lascheté et pusillanimité selon Aristote. Nulle vertu ne s'ayde de la fausseté : et la verité n'est jamais matiere d'erreur. De dire de soy plus qu'il n'en y a, ce n'est pas tousjours presomption, c'est encore souvent sottise. Se complaire outre mesure de ce qu'on est, en tomber en amour de soy indiscrete, est à mon advis la substance de ce vice. Le supreme remede à le guarir, c'est faire tout le rebours de ce que ceux icy ordonnent, qui en defendant le parler de soy, defendent par consequent encore plus de penser à soy. L'orgueil gist en la pensée : la langue n'y peut avoir qu'une bien legere part. » Livre II, chapitre VI.
Édition présentée et commentée par Marie-Madeleine Fragonard, professeur de littérature française à l'université de la Sorbonne Nouvelle (Paris III)
Personne, avant lui, n'y avait pensé. Se chercher, visiter, explorer le pays le plus proche et le plus mystérieux : soi-même. En " s'essayant " ainsi, Montaigne découvre un homme nonchalant et rêveur qui doute, agit, rêve, s'amuse. Ce voyageur, ce diplomate, ce soldat, dans l'intimité de sa " librairie " périgourdine, trouve le secret de " l'humaine condition ". Il nous crée, nous révèle notre intelligence, notre destin, notre âme. Il invente le goût du plaisir, de la liberté et de la sagesse.
Grâce à lui – sans doute le premier homme libre qui ait paru en Occident – nous pouvons vivre, aimer, nous connaître un peu mieux.
S'il y a quelque personne, quelque bonne compagnie, aux champs, en la ville, en France, ou ailleurs, resséante ou voyagère, à qui mes humeurs soient bonnes, de qui les humeurs me soient bonnes, il n'est que de siffler en paume, je leur irai fournir des essais, en chair et en os.
Généologies de la morale 1/5 : Montaigne
Avec Louis Van Delft et Pierre Magnard. Dans le Jounal des Nouveaux
Chemins de la connaissance, Adèle s'entretient toute la semaine avec
Lucien Jerphagnon, à propos de son Entrevoir et vouloir : Vladimir
Jankélévitch (La Transparence). Le thème d'aujourd'hui est la
philosophie première.
Louis Van Delft et Pierre Magnard
Louis Van Delft et Pierre Magnard• Crédits : JTRICARD - Radio France
Louis Van Delft et Pierre Magnard JTRICARD©Radio France Réalisation :
Mydia Portis-GuérinLecture des textes : Jean-Louis Jacopin
Intervenants
Pierre Magnard
professeur à la Sorbonne (Paris IV) et spécialiste d'histoire de la
philosophie du Moyen-âge à l'âge classique
Louis Van Delft
Professeur honoraire à l'Université de Paris Ouest
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire