Le 10 août 1792, l’émeute parisienne renverse le trône fragile de Louis XVI. Trois jours plus tard, la famille royale est enfermée au Temple, dans un donjon édifié au xiiie siècle. Dans ce lieu sinistre périront successivement le roi, sa femme Marie-Antoinette, sa sœur Madame Élisabeth, tous trois guillotinés ; et enfin son fils, le dauphin « Louis XVII ». Seule survivante, la fille du couple royal, Marie-Thérèse de France, sera finalement libérée le 19 décembre 1795, après une détention de plus de mille jours. Entre-temps, le Directoire a remplacé la Convention et les thermidoriens tentent de terminer la Révolution en faisant oublier la Terreur.
Pour la première fois, un historien se penche sur l’histoire globale de cette captivité. Nourri de nombreuses archives encore inexploitées, Charles-Éloi Vial raconte avec un sens rare de la narration le quotidien des captifs et brosse le portrait de l’ensemble des protagonistes du drame, la famille royale au premier chef, mais aussi les geôliers, les employés, les gardes et les visiteurs, sans oublier les figures politiques souvent rivales à l’instar d’Hébert et de Robespierre. Ce récit prenant interroge enfin la Révolution, et plus précisément la Terreur, sur l’antinomie entre la grandeur de ses principes et certains de ses actes. Un grand livre d’histoire sur un lieu d’histoire et de mémoire, qui incarne et marque l’origine de la guerre entre les deux France.
La prison d'un roi, le tombeau d'une famille
Dans ses Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand écrivait: « La monarchie des Capet finissait par une scène de château du Moyen Âge; les rois du passé avaient remonté dans leurs siècles pour mourir. » Longtemps fantasmé et imaginé, il est difficile de démêler le vrai du faux au sujet de l’enfermement de la famille royale au Temple. Et pourtant, ce drame est un bouleversement dont les échos dépassent largement les murs de la prison et dont la réalité ne peut être appréhendée qu’au sein d’un organisme plus vaste : celui de la Révolution française. Gravure figurant Marie-Thérèse dans la prison du Temple - A droite: Marie-Thérèse et son frère cadet Louis-Joseph, par Vigée-Lebrun en 1784 (musée du château de Versailles)
Après avoir été déchu, le roi fut incarcéré avec ses proches : son épouse, la reine Marie-Antoinette, sa sœur Madame Élisabeth ainsi que sa fille, Madame Royale, et le jeune dauphin Louis-Charles, le 13 août 1792. Le Temple devint la prison royale et du même coup le témoin de la fin d’une dynastie et d’une monarchie. Derrière ces murs épais : le mystère de la souffrance des derniers jours, l’effacement silencieux et discret de ceux qui régnaient encore quelques mois auparavant sur le trône de France. Le Temple fut il simplement une prison lugubre ou un élément déterminant dans le déroulé des événements révolutionnaires? Décor ou acteur de l’histoire ? Objet de littérature ou pierre angulaire de l’architecture révolutionnaire ? Comment pouvons-nous aujourd’hui, et à partir de quelles archives, interroger le quotidien d’une prison pour comprendre l’inédit d’une Révolution ? Charles-Éloi Vial répond à toutes ces questions dans un entretien mené par Mari-Gwenn Carichon.
L'auteur : Diplômé de l’École Nationale des Chartes et de l'Université Paris-Sorbonne, Charles-Éloi Vial est conservateur à la Bibliothèque nationale de France au département des Manuscrits (XVIII-XIX ème siècle) et secrétaire général de l'Institut Napoléon. Il est spécialiste de l'histoire des monarchies européennes du début du XIXème siècle. Il s'est notamment rendu célèbre avec son ouvrage Les derniers feux de la monarchie : la cour au siècle des révolutions et sa biographie sur Marie-Louise (couronnée par le prix premier empire de la fondation Napoléon). Après avoir écrit certains ouvrages et articles de référence, et participé à de nombreux colloques et expositions, il publie aujourd'hui La famille royale au Temple, Le remords de la Révolution, aux éditions Perrin (500 pages, 25 euros).
Dans la prison du Temple, Madame Royale ne savait plus parler
Enfermée dans la tour du Temple durant la Révolution, Madame Royale, la fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, ne savait plus parler à force de silence.
Elle aurait dû avoir une jeunesse de princesse. Une jeunesse baignée d’insouciance et de frivolité. L’Histoire en a décidé autrement. Marie-Thèrèse Charlotte, dite Madame Royale, a eu le malheur de naître quelques années avant que n’éclate la Révolution française. Etre la fille du roi et de la reine de France à cette époque n’était vraiment pas enviable. Et, le 10 août 1792, à l’âge de 13 ans, la voici incarcérée avec ses parents Louis XVI et Marie-Antoinette, son petit frère Louis-Charles et sa tante Madame Elisabeth à la prison du Temple à Paris.
Au départ les conditions de la détention du souverain et de sa famille dans cette tour sont relativement acceptables, comme le raconte Marie-Hélène Baylac dans son nouveau livre «Les secrets de la Révolution française» paru aux éditions «La librairie Vuibert» en avril 2017. Bien sûr, leurs appartements n’offrent pas le confort auquel ils étaient habitués et ils sont privés de liberté, mais au moins ils sont ensemble. Ce qui ne va malheureusement pas durer.
L’orpheline du Temple souffre de solitude, de froid et d’ennui
Le 9 mai 1794, Marie-Thérèse se retrouve seule. Son père a été guillotiné le 21 janvier 1793. Sa mère, qui avait été transférée le 2 août 1793 à la Conciergerie, a connu un sort identique le 16 octobre de cette même année. Le Dauphin, séparé de sa mère, de sa sœur et de sa tante en juillet 1793, vit dans une autre pièce de la tour du Temple. Et ce jour-là, 9 mai 1794, Madame Elisabeth, qui n’avait jusqu’alors jamais quitté sa nièce, est emmenée pour être exécutée le lendemain.
«Les deux enfants restent les seuls captifs de la tour, chacun à son étage, sans contact. Celle qu’on surnommera l’orpheline du Temple dira plus tard la solitude, le froid, l’ennui», rappelle Marie-Hélène Baylac. Et de citer Marie-Thérèse elle-même: «Les gardes ne voulurent plus me donner que des livres de piété, de voyages que j’avais lus mille fois et un tricot qui m’ennuyait beaucoup [… Ils] étaient souvent ivres; cependant nous restâmes tranquilles, mon frère et moi, chacun dans notre appartement, jusqu’au 9 thermidor».
Une captivité de trois ans, quatre mois et cinq jours
Ce 9 thermidor an II (le 27 juillet 1794) signe la chute de Robespierre et, en ricochet, l’amélioration des conditions de détention de Louis-Charles -que les royalistes considèrent comme le roi Louis XVII depuis la mort de son père- et de sa grande sœur. A propos de celle-ci, Marie-Hélène Baylac précise que, dès lors, la jeune fille «ne manque plus de linge, ni de nourriture, ni de feu». «Ses gardiens la traitent – de ses propres mots – "avec honnêteté". Au début du printemps, ils l’engagent à monter sur la plate-forme de la tour pour prendre l’air», ajoute-t-elle. Et le 13 juin 1795, le Comité de sureté générale décide de placer auprès d’elle une femme pour lui tenir compagnie. Celle-ci se nomme Madame de Chanterenne et est la fille d’un gentilhomme poitevin ruiné. C’est elle qui révélera à Marie-Thérèse que sa mère comme sa tante ont été exécutées, ce qu’elle ignorait. C’est elle aussi qui lui réapprendra à parler. «Elle avait oublié à force de silence!», explique l’auteur.
Alors que son petit frère Louis-Charles s’y est éteint six mois plus tôt, Madame Royale quitte la tour du Temple dans la nuit du 17 au 18 décembre 1795, jour de ses 17 ans. Seule rescapée de sa famille, elle y sera restée en captivité trois ans, quatre mois et cinq jours.
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