Avec cette brillante comédie catastrophe sur Netflix, le réalisateur de « Vice » tente d’avertir l’humanité d’un péril imminent. On rit et on grince des dents.
Six mois et quatorze jours. C’est le temps qu’il reste à la Terre avant une collision avec un monstre géocroiseur dans l’hilarante satire Don’t Look Up : déni cosmique, joli cadeau diffusé sur Netflix en ce jour de Noël. Découverte au début du film par les astronomes Randall Mindy (Leonardo DiCaprio) et Kate Dibiasky (Jennifer Lawrence), la comète de près de 10 km de diamètre a 99 % de chances de pulvériser la planète.
A partir de l’instant où, la mine défaite et horrifiée, les scientifiques comprennent l’imminence du désastre, le réalisateur Adam McKay déclenche sur deux heures dix-huit une course contre la montre désespérée pour convaincre la Maison-Blanche d’organiser la riposte. Le camp de la raison va, hélas, se heurter à une déferlante d’insoutenables crétins, à Washington et au-delà : depuis la présidente des États-Unis Janie Orlean (Meryl Streep) et son idiot de fils/chef de cabinet (Jonah Hill), jusqu’à un tandem d’animateurs télé ricanants (Cate Blanchett et Tyler Perry), en passant par le gourou de la tech Peter Isherwell (Mark Rylance), aucun relais d’influence n’écoutera sérieusement les cris d’alarme de la science. Jusqu’à l’inévitable catastrophe…
« Cela fait des années que les blockbusters hollywoodiens jouent avec la fin du monde, depuis les James Bond jusqu’aux Marvel, en passant par Armageddon. J’ai vu et aimé tous ces films, mais, avec Don’t Look Up, j’ai voulu montrer ce qui se passe vraiment quand tout a échoué », nous explique Adam McKay, lequel ne fait pas mystère de l’allégorie au cœur de son récit : la comète Dibiasky pourrait tout aussi bien être le dérèglement climatique bien réel qui nous menace tous d’ici à la fin de ce siècle. « Beaucoup de climatologues qui ont vu le film me remercient d'avoir traité cette frustration que ressentent les scientifiques à faire éclater la vérité, dans un monde où nos communications sont manipulées, marketées et détournées par de faux prophètes. Nous entrons dans une ère très dangereuse où nous devenons incapables de réagir collectivement à une menace globale comme la crise climatique, qui est le plus gros défi à venir de l’humanité. Mais cela vaut aussi pour la crise sanitaire, la pollution, la corruption ou l’aggravation des inégalités. »
Poil à gratter du cinéma américain, ex-collaborateur du polémiste Michael Moore, Adam McKay a stigmatisé les effets pervers des systèmes financier et politique de son pays dans les admirables The Big Short : le casse du siècle (2015) et Vice (2018). D’aucuns lui ont reproché, particulièrement dans Vice, un parti pris un peu trop ouvertement démocrate et de ne réserver ses banderilles qu’au camp adverse. Mais, avec Don’t Look Up : déni cosmique, le torero décoche cette fois à 360 degrés. Tout le monde en prend pour son grade, républicains ou démocrates, boomers ou millennials, hommes ou femmes, personne n’est épargné. Tous égaux dans l’idiotie – hormis les scientifiques, rationnels impuissants, qui n’en sont pas moins dépeints en sociopathes shootés au Xanax.
Je suis ravi de savoir que des gens détestent mon film. S’il polarise, tant mieux !
Adam McKay
À condition d’avir un moral bien accroché, on rit beaucoup, tant la charge tape fort et juste. Prévisible, certes, mais jubilatoire. Encore plus lorsque McKay, coauteur de l’histoire avec David Sirota, brosse une flamboyante fresque de l’alignement parfait de planètes aboutissant à la fin de la nôtre : incurie politique, main basse des Midas de la Silicon Valley sur les opinions, aliénation des foules par les réseaux sociaux, refus d’écouter la science, plongée collective dans l’idiocratie… Au fil du film, l’Amérique se déchire entre les convaincus d’une catastrophe imminente (le mouvement Just Look Up, pour « Regardez le ciel ») et les « cométo-sceptiques » entretenus par le camp Orlean et son contre-slogan (« Don’t Look Up »). La guerre se règle à coups de shows exubérants relayés sur le réseau social tout puissant créé par Isherwell. Ou quand le débat public crucial nourrit l’exhibition de foire à laquelle même les scientifiques ne peuvent échapper : dans une mise en abyme fascinante de son propre propos, McKay a fait appel à la chanteuse Ariana Grande pour incarner la pop star braillant une sirupeuse ballade destinée à rallier le camp Just Look Up. Sors de ce corps, Guy Debord !
Kate Dibiasky (Jennifer Lawrence) et Randall Mindy (Leonardo DiCaprio), scientifiques méprisés socialement, lanceurs d'alerte s'agitant en pure perte, insuffisamment suivis sur les réseaux sociaux pour être pris au sérieux...
Après le ton essentiellement dramatique de ses deux précédents longs-métrages, McKay revient donc avec bonheur à ses premières amours comiques – il a commencé sa carrière en tant que principal auteur de l’émission satirique Saturday Night Live, avant de réaliser une brochette de comédies burlesques avec son vieux pote Will Ferrell. Mais, aux États-Unis, tout le monde n’a pas apprécié la blague Don’t Look Up et le film y a essuyé d’acerbes critiques lui reprochant son jusqu’au-boutisme et sa misanthropie. « Je suis ravi de savoir que des gens détestent mon film. S’il polarise, tant mieux ! Je préfère largement ces réactions plutôt que l’indifférence », répond Adam McKay, avant de concéder : « La satire est une discipline très risquée. Je voulais réaliser une vraie grosse comédie, faire rire les gens, mais avec un propos grinçant. Mes références étaient La Mort de Staline, Thank You for Smoking et Idiocracy [film culte dans lequel un soldat américain placé en hibernation découvre, 500 ans plus tard, une Amérique où le QI s’est tragiquement effondré, NDLR]. Mais, à certains moments, Don’t Look Up est également très premier degré, c’est un film lanceur d’alerte. Il fait cohabiter la farce et l’horreur, ce qui, à mes yeux, correspond bien à notre monde actuel, qui me fait penser à la fois à un cartoon risible et à une tragédie terrifiante. »
Admirablement joué par son tandem de stars, mais aussi par tous les autres astres qui gravitent autour (Meryl Streep, Jonah Hill, Cate Blanchett, Rob Morgan, Mark Rylance… ainsi que Timothée Chalamet dans un petit rôle de skater chrétien !), Don’t Look Up : déni cosmique réussit le pari de nous embarquer dans une satire follement ambitieuse de l’humanité 2.0. Sa machine à sarcasmes n’empêche cependant pas l’émotion, dans un très beau final apocalyptique empreint d’une touchante mélancolie et d’un humanisme que l’on sera bien en peine de retrouver dans le genre du disaster movie.
Pas étonnant que cette production ait été entièrement financée par Netflix, sans trouver sa place chez les studios de cinéma traditionnels – l’objet est beaucoup trop nihiliste. En toute franchise, on doute de l’efficacité réelle de son implicite plaidoyer pour le combat climatique, mais, contrairement à la fin pessimiste de son brûlot, Adam McKay veut encore y croire : « Je ne pense pas que nous soyons fichus, parce qu’il nous reste encore un outil puissant : la science. Le seul problème est l’éveil des foules et l’action. Nous avons des réponses au problème, telles que la réduction des émissions de carbone. Il faut juste que l’opinion inscrive définitivement la crise climatique dans ses priorités. » Savourez, en attendant, Don’t Look Up : déni cosmique : l’humanité y court à sa perte et le mérite bien, mais qu’est-ce qu’on se marre ! Très joyeux Noël à tous.