EXCLUSIF - C'est une initiative inédite : au printemps dernier, une quinzaine d'écrivains sont allés passer trois jours et trois nuits dans l'abbaye de Lagrasse, où vivent une quarantaine de chanoines. De ce séjour, ils en ont tiré un livre magnifique, dont nous publions plusieurs extraits.
Le 24 novembre les éditions Fayard (en co-édition avec Julliard) publient "Trois jours et trois nuits", 14 récits d'écrivains ayant séjourné avec les religieux à Lagrasse. Les auteurs reversent leurs droits aux chanoines pour la restauration de l'abbaye. Pour le père Louis-Marie ce livre est le résultat d'un dialogue fructueux avec le monde de la culture.
"J'ai deux cordes et des harnais d'escalade avec moi, on se le tente ?" L'écrivain voyageur Sylvain Tesson est sans doute celui qui parmi les 14 grands noms du monde de la culture invités à passer trois jours et trois nuits en compagnie des chanoines de Lagrasse, qui aura le plus marqué le père Louis-Marie. Ce dernier a servi d'intermédiaire entre le directeur de collection (chez Fayard) Nicolas Diat, le "groupe" des écrivains et le père abbé Emmanuel-Marie, à la tête de la communauté d'une quarantaine de religieux vivant sous la règle de saint Augustin (Ve siècle). On est loin des Bernanos, Mauriac et autre Huysmans. La preuve : Il est 22 h, c'est l'été, la luminosité est bonne, l'impertinent érudit et génial voyageur SylvainTesson a réussi à embarquer 3 chanoines au sommet du clocher de 45 m de haut pour une descente "de la tour du 16e siècle au chevet de la nef en ruine". Les descentes en rappel se déroulent sans anicroche. Louis Marie a fixé l'aventure en vidéo sur son portable, un exercice épique en soutane
Mais que venait faire Sylvain Tesson chez les chanoines ? Ou encore Pascal Bruckner, Jean-Paul Enthoven, Franz-Olivier Giesbert, Boualem Sansal (retenu en Algérie par le Covid et la situation politique, qui a suivi en visio mais qui fera le voyage), Frédéric Beigbeder ... venus chacun à leur tour depuis la gare de Narbonne dans ce lieu de silence dévoué à la contemplation et à la charité ?
Si Beigbeder ne déroge pas à son style, "descendant aux vêpres en pantalon et polo Lacoste blanc, par solidarité avec le look virginal des brothers", Sylvain Tesson perçoit dans la règle d'Augustin, "ce qui se dit autrement du côté de la Mongolie extérieure". Les textes reflètent les interrogations des illustres invités sur la vocation, la mort, le pardon, la clôture, le célibat, mais aussi "l'angoisse existentielle".
La littérature n'est-elle pas un appel à la transcendance ?" s'interroge tout haut le chanoine, dans le cloître magnifiquement restauré. Chacun des hôtes a séjourné dans une cellule depuis le mois de février 2021, aux côtés des moines. Chacun a mangé avec les moines, en silence, à l'écoute de la lecture depuis un pupitre (" Si vous êtes marié vous savez donc que les conversations à table finissent par s'épuiser ... ne pas parler et écouter des textes de la doctrine, un article de journal, de l'Histoire, des biographies de Jean-Paul II à Mozart, ça nourrit à la fois nos corps et nos intelligences, on se tait pour grandir et communiquer par la suite" affirme Louis-Marie). Chacun a participé au chapitre, ou seul des évêques sont d'habitude invités, et encore "seulement s'ils ont quelque chose à nous enseigner". Chacun a participé aux promenades, aux récréations. Les récits sont tous différents. "Ils sont venus tels qu'ils étaient, nous étions tels que nous sommes, et on a engagé un dialogue, qui a été vrai, car il n'y avait aucune idéologie, que de la bienveillance. Ça a été magnifique" résume le père Louis-Marie.
Quand les auteurs aident à la restauration
Retenue par la mission Patrimoine de Stéphane Bern en septembre 2020, l'abbaye Sainte-Marie de Lagrasse s'est vue octroyer 600 000 € d'aides (répartis à 2/3 pour les chanoines, 1/3 pour le Département, propriétaire d'une partie des lieux). De vastes travaux de restauration du clocher (terminé) du trancept (en ruines) et de l'église ont été ou seront encore entrepris. Plusieurs mécènes et fondations ont participé à la rénovation, que les chanoines pensaient condamné après l'incendie de Notre-Dame de Paris qui avait capté des sommes astronomiques de dons pour sa réfection, négligeant le "petit patrimoine" de France, dont Lagrasse et ses 1200 ans d'histoire fait indéniablement partie. Les auteurs de Trois jours et trois nuits contribuent à la restauration en reversant leurs droits aux chanoines. L'hôtellerie (35 couchages) a été refaite, une maison des dames et une maison des familles ont également été ouvertes dans le village. "Le patrimoine importe moins que l'accueil et donc l'échange, que ce soit pour une retraite spirituelle pure, des vacances, pour profiter du silence, de la lecture, de discussions avec nous" explique le père Louis-Marie.
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