« J’ai fait comme s’il ne se passait rien. Je regardais le paysage devant moi. Les essuie-glaces couchés au bas de la vitre. La main allait et venait sur ma cuisse. Elle s’est déplacée vers le haut. J’ai été consciente de sa position à tout moment. Mon attitude était celle de quelqu’un qui n’a rien de particulier à dire. Mon état intérieur, à l’opposé. Il aurait mérité d’être exprimé si je m’en étais sentie capable. Je dissimulais mon incapacité par un comportement sans histoire. Sachant que je ne saurais pas quoi dire si la limite était dépassée. Mon esprit était occupé à raisonner. Il n’était pas vide. Je surveillais. C’était une surveillance de tous les instants. Proche. Serrée sur le mouvement. Même d’un doigt sur le tissu de mon pantalon. Je surveillais, je surveillais, je surveillais. Ça risquait d’être inutile. Je le savais. Si la limite, que je pouvais faire semblant de supporter, était dépassée, j’avais conscience que j’aurais peut-être à en supporter plus. Mon raisonnement se bloquait avant. Je n’allais pas jusque-là. Je continuais d’interpréter les passages de main comme anodins, et de m’accrocher à leur innocence. »
Christine Angot remporte le prix Medicis 2021 pour son roman "Le Voyage dans l'Est"
Dans ce livre, l'écrivaine revient sur l'inceste dont elle a été victime de la part de son père.
Après le prix Femina décerné le 25 octobre, la saison des prix se poursuit avec le prix Medicis. Son jury, réuni dans un restaurant du quartier de l'Odéon à Paris le 26 octobre, a couronné Christine Angot pour Le Voyage dans l'Est (éd. Flammarion).
Avec ce nouveau roman, l'un des livres les plus remarqués d'une rentrée littéraire 2021 marquée par plusieurs romans évoquant des histoires de parents nocifs, la romancière de 62 ans revient sur l'inceste dont elle a été victime de la part de son père.
"C'est très important", a remercié la romancière en recevant son prix, très émue. Interrogée par la presse, elle a dit être heureuse pour ceux qui l'entourent. "Ça compte vraiment (...) C'est-à-dire qu'il y a des gens qui sont là, qui vous aident, qui vous soutiennent, qui manifestent qu'ils sont avec vous", a-t-elle expliqué.
"Je suis soutenue depuis très longtemps"
Le traumatisme de son enfance et de sa jeunesse, l'inceste commis par son père, Christine Angot l'a raconté pour la première fois dans L'inceste (1999), puis dans Une semaine de vacances, en 2012. Elle en avait également décrit la génèse dans Un amour impossible, en 2015. La romancière revient une fois encore sur les horreurs comises par son père incestueux dans Le voyage dans l'Est, toujours en lice pour le Goncourt. "Il n'y a plus d'espoir. Il n'y a plus l'idée que la vie est là et qu'elle réserve quelque chose dans l'avenir", confiait Christine Angot dans une interview à Brut.
L'inceste, elle avait 13 ans quand elle l'a subi pour la première fois. Ses conséquences, elle les subira toute sa vie. Christine Angot témoigne.
"Quand vous écrivez vous êtes absolument seule et c'est très bien comme ça, et c'est aussi ce qui m'intéresse dans le fait d'écrire. Mais moi il y a des gens qui me disent : on est là, on entend, on lit, on voit, on comprend, on soutient", a souligné la romancière, ajoutant : "Je suis soutenue depuis très longtemps, en fait".
Le jury a également distingué le Suédois Jonas Hassen Khemiri pour La Clause paternelle (éd. Actes Sud) dans la catégorie roman étranger et Jakuta Alikavazovic pour Comme un ciel en nous (éd. Stock) dans la catégorie essai.
En 2020, c'est Chloé Delaume qui avait remporté le prix dans la catégorie roman français pour Le Cœur synthétique (éd. Seuil). Antonio Munoz Molina (Un promeneur solitaire dans la foule) et Karl Ove Knausgaard (Fin de combat) avaient remporté le prix Médicis du roman étranger et celui de l'essai.
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