jeudi 18 novembre 2021

Film - 5/5 - Bonne mère - 2021 - Dans une cité des quartiers nord de Marseille ......


Nora, la cinquantaine, femme de ménage de son état, veille sur sa petite famille dans une cité des quartiers nord de Marseille. Après une longue période de chômage, un soir de mauvaise inspiration, son fils aîné Ellyes s’est fourvoyé dans le braquage d’une station-service. Incarcéré depuis plusieurs mois, il attend son procès avec un mélange d’espoir et d’inquiétude. Nora fait tout pour lui rendre cette attente la moins insupportable possible…






Du talent, Hafsia Herzi n’en manque pas. Celle qui fut révélée comme actrice chez Abedelettif Kechiche dans La Graine et Le mulet nous avait séduit et bouleversé il y a deux ans avec son premier long métrage, Tu mérites un amour. Un film traversé par une vitalité impressionnante qui révélait un talent d’auteure majuscule, juste, précise et qui captait les pulsations du cœur avec une grâce digne des plus grands. Deux ans après, Hafsia Herzi récidive avec ce qui aurait dû être son premier film si les atermoiements du financement n’en avaient pas décidé autrement. 


Bonne mère c’est le portrait de Nora une femme, veuve et mère de cinq enfants, qui enchaine les boulots de femme de ménage et d’aide à domicile pour subvenir aux besoins de sa famille avec un dévouement et un oubli de soi qui force le respect. Tourné dans les quartiers nord de Marseille d’où elle est originaire et largement inspirée de la vie de sa maman, Hafsia Herzi réussit miraculeusement à éviter tout voyeurisme ou misérabilisme et raconte son histoire avec une tendresse, une bienveillance et un regard empreint de sincérité qui toucheront les plus réfractaires à un cinéma naturaliste. Dans la lignée du réalisme qui exsude du cinéma de Kechiche la jeune réalisatrice parvient à tirer le meilleur de sa distribution grâce à une approche spontanée qui donne à son film des accents impressionnants de vérité, impression accentuée par le jeu des comédiennes et comédiens non professionnels mais confondants de justesse.


Halima Benhamed campe cette mère courage, debout contre vents et marées pour protéger ses enfants qui, chacun avec leur pédigrée, vivent encore à ses crochets malgré le temps de l’indépendance venue. Elle y est d’une sobriété et d’une dignité incroyables, chacun de ses dialogues étant dit avec résolution et douceur et ses gestes les plus anodins étant aussi éminemment parlants. Elle est une révélation saisissante, démontrant le talent hors normes qui ne demandait sans doute qu’à éclore. Le personnage qu’elle incarne, – trop souvent invisible à l’écran – une de ces femmes seules qui manœuvrent le bateau pour l’amener à bon port sans aide, ni argent, est le moteur de cette famille sur lequel chacun se repose pour avancer. En centrant son récit sur elle, Hafsia Herzi rend hommage à sa mère évidemment, mais signe aussi un manifeste qui s’étend à toutes les mères qui tiennent le cap quoi qu’il advienne. Pour bien nous faire comprendre son quotidien on la suit dans ses longs trajets en transports, dans ces moments qui agissent comme des sas de décompression avant de retourner à une vie répétitive et difficile. Le but n’est pas de la plaindre mais au contraire de montrer son abnégation et son dévouement tendu vers un seul but, le bonheur de ses enfants.


Parallèlement au parcours de Nora, Hafsia Herzi filme sa famille comme un torrent de vie en mouvement perpétuel qui s’aime malgré les engueulades et les situations délicates qui rythment leurs vies. La tchatche, les vannes mais aussi la tendresse et la compassion sont au rendez-vous de ces séquences de repas, de cigarettes fumées devant la fenêtre où la mer apparait au loin comme une échappatoire possible. Avec sa caméra, la réalisatrice sait saisir cette banalité qui fait nos vies et elle la magnifie avec une délicatesse qui touche au cœur et à l’âme. Elle sait aussi filmer le chaos, les dialogues qui se chevauchent, l’énergie qui électrise des scènes d’une apparente simplicité. 


Elle fait scander par un de ses personnages un rap  qui sonne comme un mantra et qui sonne aussi comme une note d’intention pour son film dans une scène où la lumière et la photographie subliment la ville en arrière-plan. Si l’humour, bien que présent, est moins là en contrepoint que dans Tu mérites un amour, il s’inscrit en filigrane d’une œuvre dont la véracité s’imprime en nous avec force. Hafsia Herzi filme les quartiers nord dans leur vérité nue, elle n’idéalise rien, ne tamise rien, mais reste accrochée à ses personnages avec une vitalité qui nous emporte. Si la tristesse et la mélancolie sont aussi de la partie, c’est pour rendre notre émotion encore plus palpable au fil de nos battements de cœur. Cet amour insensé qui lie les familles et qui rend plus vivant est magnifié par un regard majoritairement féminin encore trop rare dans un cinéma à dominante masculine. Le dévouement d’une bonne mère …Les galères, les petits boulots, la vie, les peines et des miettes de bonheur. En deux films Hafsia Herzi sublime ses interprètes et construit une œuvre intime d’une humanité folle et bouleversante. 

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