« Il ne faut pas sous-estimer la rage de survivre. »
Sous la forme d’un conte, Amélie Nothomb raconte la vie de Patrick, son père, doux enfant angélique qui, jeune adulte, devra se confronter à la mort.
Un magnifique hommage à la figure paternelle mais aussi à un héros de l’ombre, diplomate à la carrière hors norme.
Amélie Nothomb reçoit le prix Renaudot pour son roman « Premier sang »
La récompense a été décernée, mercredi, à l’écrivaine belge pour « Premier sang » (Albin Michel), autobiographie fictive de son père, mort en 2020. Un récit sensible, à la première personne.
C’était donc au tour d’Amélie Nothomb d’être célébrée, elle qui a fait de la littérature un désir de joie partagée, un art de l’hospitalité. Non seulement parce qu’elle entretient avec ses lecteurs un lien solide, nourri par des rencontres ferventes et une correspondance quotidienne. Mais aussi parce qu’on entre dans ses livres comme les hôtes sont accueillis à l’une de ces réceptions et autres garden-parties qui peuplent son œuvre. Du reste, Premier sang s’inscrit dans cette gaie continuité. « Ma mère s’était lancée dans les mondanités. (…) Le matin, elle se réveillait en pensant : “Que vais-je porter ce soir ?” », peut-on lire dès les premières pages de ce texte qui aurait pu s’intituler Autobiographie de mon père, si le titre n’avait pas déjà été pris par le regretté Pierre Pachet (Belin, 1987).
Sensibilité magique
Dans ce roman en forme de conte, en effet, l’écrivaine fait parler son père, Patrick Nothomb, à la première personne : « le présent a commencé il y a vingt-huit ans. Aux balbultiements de ma conscience, je vois ma joie insolite d’exister. Insolite parce qu’insolente : autour de moi régnait le chagrin ». Page après page, elle redonne voix à ce diplomate, mort en mars 2020, afin qu’il retrace son propre destin, depuis sa naissance dans un milieu d’aristocrates déclassés jusqu’à la naissance de sa fille, et des rudes journées qu’il passa, enfant, auprès d’un grand-père à la fois poète et tyran, jusqu’à la terrible prise d’otages où il a failli mourir, au Congo, en 1964. Avec la sensibilité magique et l’humour plein de tact qui la distinguent, Amélie Nothomb est ici fidèle à son style, cette quête de simplicité et surtout de clarté qui est tout sauf une facilité, puisqu’elle est indissociable d’une certaine éthique de l’écriture, comme elle l’affirmait à propos du sinologue Simon Leys lors de son discours de réception à l’Académie royale de Belgique, en 2015 : « Chez Leys, notait-elle, cette clarté relevait d’une très haute exigence morale : à ses yeux, un écrivain pas clair n’était pas seulement un mauvais écrivain, mais une mauvaise personne. »
Sous la plume de Nothomb, comme le prouve une fois de plus Premier sang, cette morale de la clarté ne fait qu’un avec le plaisir du texte, l’ardent désir de le partager : « Mon travail à moi est une défense et une illustration de la beauté. Je dois sans cesse convaincre mes lecteurs qu’elle n’est pas synonyme de superficialité… », résumait-elle dans les colonnes du « Monde des livres » en 2016. Cela passe par une fidélité au langage de l’enfance, à sa lucidité enjouée, et aussi par une mystique de la littérature qui se confond, chez Amélie Nothomb aujourd’hui comme hier chez son père, avec un amour de la fête : « Toi, tu n’aurais pas supporté. Tu as toujours aimé l’extérieur, les fêtes, les rencontres. Tu as toujours aimé les autres. Ils te le rendent bien », écrivait-elle dans une lettre adressée à Patrick Nothomb, quelques jours après sa mort en Belgique, au premier jour du premier confinement.
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