L'émergence du terme "woke" et sa récurrence dans le débat public interrogent. Venu des États-Unis où il s'inscrit dans une histoire antiraciste, le mot est arrivé en France sans toujours être défini. Il est désormais majoritairement utilisé de manière péjorative. Comment expliquer ce cheminement ?
Définition anglaise du terme "woke" dans le Merriam-Webster's Collegiate Dictionnary, 11ème édition.
Il s’étale, prend sa place dans les discours , sur les unes et les bandeaux de couverture des essais de la rentrée sans qu’une grande partie des lecteurs le connaissent ou le comprennent.
Venu des Etats-Unis en passant par le Québec, il s’est rapidement acclimaté chez nous, utilisé désormais comme un repoussoir par des hommes politiques de gauche comme de droite. La crainte de ceux qui contestent son usage est de voir surgir avec lui une société communautarisée, à l’américaine où l’universalisme à la française ne trouverait plus à s’exprimer.
Bref le woke est-il autre chose qu’une insulte ?
Pour débat, Emmanuel Laurentin reçoit Laurent Dubreuil, professeur de littérature à l'université de Cornell et Mam-Fatou Niang, maîtresse de conférences en études françaises à Carnegie-Mellon en Pennsylvanie.
"Le mot "woke" signifie "être éveillé", et dans la communauté noire des États-Unis, on est vraiment dans l'idée de la conscience, l'alerte même, la sensibilité que l'individu doit avoir à tout moment de son environnement car sa vie, sa survie en dépend. Aujourd'hui, ce mot a été coopté, récupéré par la culture populaire ou le grand capital pour se diluer, se dépolitiser dans le débat public, pourtant on ne devrait jamais oublier ce qu'il représentait à l'origine. En France, j'ai l'impression qu'on est sur une sorte de levée de boucliers contre la "contagion de l'entreprise" par ces "idéologies venues des Etats-Unis". On entend parfois des économistes ou des chefs d'entreprise français dirent qu'il y a une jeune génération, très sensible, à comprendre dans le sens des cinq sens, aux questions de société mais qui ne sait pas séparer le politique du travail, et qui ramène ce politique sur le lieu de travail. C'est délirant ! L'entreprise est un lieu où se joue des rapports de domination, des rapports de pouvoir qui ne sont pas naturels, et qu'il convient de souligner lorsqu'ils portent atteinte à la dignité des travailleurs. Il serait bon de considérer ces revendications sans les balayer du revers de la main avec des mots dévalorisants comme 'woke', 'islamogauchiste', 'cancel culture'" Mam-Fatou Niang
"Je suis opposé aux identités en politique, et probablement au-delà de la politique, et j'aimerais qu'on n'essaie pas de s'émanciper par l'identité mais de l'identité, j'y inclue évidement l'identité française au passage. On est face à la "politique d'identité 2.0", c'est-à-dire l'idée selon laquelle chaque agent parle, pense, s'exprime en tant que quelque chose en particulier, et cette politique d'identité fait intégralement partie du capitalisme technologique des communications et des réseaux sociaux. Il peut y avoir des connivences entre des positions dites de gauche en rapport avec les identités et le fonctionnement du capitalisme: ça ne fait aucun doute ! La politique d'identité est devenue une loi du marché et d'accompagnement du capitalisme technologique. Ca se voit bien mieux aux États-Unis avec les grands groupes capitalistes, les grandes universités, les grands groupes de média qui nous assènent une politique d'identité comme phraséologie unique. Ca se voit peut-être moins en France parce que beaucoup de gens font l'erreur de croire qu'en misant sur tel ou tel élément de fractionalisation du tissu social, et en disant que telle identité est blessée, qu'elle doit avoir une juste rétribution pour réparer sa blessure, on croit qu'on est marxiste ou anti-capitalisme, or c'est faux. Au niveau globalisé, la politique d'identité telle qu'elle est conçue aujourd'hui avec une identité réifiée, traumatisée et navrée est la base d'une refondation de la politique et ce qu'on voit, c'est que quand on va au bout d'une logique d'affirmation de l'identité comme étant le premier élément d'un groupe sociale, on risque par avance de nier tout droit au pluralisme en allant du côté des effets de censure, à droite comme à gauche"
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