vendredi 12 mars 2021

Livre - Le pont international - La douceur du miel - Un autre loin - Silvia Baron Supervielle

 


"Antonio Haedo est un vieux monsieur maintenant. C'est pourquoi il est temps qu'il en témoigne, qu'il dise les choses telles qu'il les voit. Qu'il parle de ce qu'il porte comme un souffle. Il ne saurait pas le dire au juste; ça tourne autour de l'Uruguay de sa jeunesse et spécialement de Fray tientos où il passait ses étés avec sa famille. Etant dotée d'un port, la ville accueillait de larges bateaux sur la rive gauche du fleuve Uruguay qui sépare l'Uruguay de l'Argentine. Plus qu'un souvenir, c'est un sentiment qu'il éprouve; il se précise lorsqu'il parcourt des photographies, relit des livres, voit des cours d'eau s'enfuir à travers la vitre d'un train. Il aperçoit alors d'autres paysages, des scènes, des visages. Antonio n'est pas certain de vouloir y revenir, nais le sentiment est près de lui, même quand il ne lui montre rien. Depuis longtemps, il attend un son, une lumière qui surgirait des photographies, des objets, des livres. Mais ce qu'il attend, il le sait, est déjà arrivé. Il est en vie grâce à ce sentiment qui l'habite et l'exonère du temps. Lorsqu'il croit qu'il s'est dissipé, il le retrouve en effleurant des yeux le mystère des choses. "


«Jusqu'au jour, elle ne saurait pas dire pourquoi, où Stella leva son regard sur un homme, Loïc, qui tenait le café à côté de l'école. Depuis ce jour, lorsqu'elle achève ses cours et sort de l'école, elle entre dans le café pour boire un verre de blanc avant de repartir à vélo chez elle. Loïc Le Guen est grand et souple, il a des yeux clairs, des gestes lents et cléments. Il ne parle presque pas. Son silence, ses manières, ses yeux expriment quelque chose qui attire la jeune femme. Peu après, un soir, Loïc vit Stella entrer dans le café, qui se trouvait exceptionnellement vide, il vint à sa rencontre et ferma la porte à clef. Et, main dans la main, ils se dirigèrent vers l'escalier du fond.»





Ce recueil est une manière de récitatif en vers libre, fruit d'une expérience singulière et d'une belle sensibilité poétique, comme une façon de penser/lorsque l'attente a rejoint l'infini/et que l'été n'est plus. Cest à l'heure où les ombres s'accumulent que Silvia Baron Supervielle, plutôt que de dresser un bilan de sa vie, interroge ce que l'avenir lui propose : un autre Loin, un autre Seuil, un autre Vide, un autre Verbe. Elle en a tiré quatre chants qui témoignent de toutes les attentes d'un poète en proie à l'exil, à l'amour et à la séparation : partir, oser l'inconnu, inventer une langue. Et c'est, dit-elle, comme une façon de partir avant le départ/de renaître sans bouger. Porté par un souffle vif, une langue charnue, imagée, cette coulée verbale nous emmène loin et profond.



Silvia BARON-SUPERVIELLE – En son for intérieur (France Culture, 1996)

 


Silvia Baron Supervielle est une femme de lettres et traductrice.

Elle a commencé à écrire des poèmes et des nouvelles dans sa langue maternelle, l’espagnol.

Elle arrive en France en 1961 pour un court séjour, qui se prolongera jusqu’à aujourd’hui. Au bout de quelques années elle recommence à écrire, désormais dans la langue de sa patrie d’adoption.

En 1970, Maurice Nadeau publie une série de ses poèmes dans Les Lettres Nouvelles. Son premier recueil en français, La Distance de sable, paraît en 1983 aux éditions Granit. Ses livres suivants seront publiés aux éditions José Corti, au Seuil, aux éditions Arfuyen, puis chez Gallimard.

Elle a traduit en français de nombreux écrivains argentins : Borges, Silvina Ocampo, Alejandra Pizarnik, Roberto Juarroz, etc. Elle est également l’auteur de la traduction en espagnol de la poésie et du théâtre de Marguerite Yourcenar.

Vient de publier, chez Gallimard, le 15 mars 2018 " Un autre loin ". 

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