vendredi 12 mars 2021

Livre - Oeuvre poétique - Alejandra Pizarnik

 


" Alejandra habitait un appartement minuscule au cœur de Buenos Aires. [...] Près de son bureau, elle avait épinglé une phrase d'Artaud : " Il fallait d'abord avoir envie de vivre. " La chambre était sobrement meublée : le bureau, un lit, quelques livres et un petit tableau noir sur lequel elle ébauchait ses poèmes, à la façon d'un sculpteur, entaillant à petits coups un bloc qu'elle savait receler quelques mots essentiels et précieux. Tout son art consistait à parvenir à ce noyau caché au cœur d'une masse complexe de pensées, d'images et d'intuitions, en décomposant un argument poétique afin d'en atteindre le dénominateur fondamental. Elle écrivait des phrases au tableau et puis, jour après jour (ou nuit après nuit de veille), elle effaçait un mot après l'autre, en remplaçait certains, en supprimait d'autres jusqu'à ce que finalement, au prix d un effort physique considérable, elle laissât subsister quelques vers, durs et étincelants comme des diamants, qu'elle copiait alors dans ses carnets de son écriture minuscule et régulière d'écolière. Ecrire, c'est donner un sens à la souffrance, notait-elle dans son journal en novembre 1971. [...] Dans son journal, le 30 octobre 1962, après avoir cité Don Quichotte (Mais ce qui fit le plus plaisir à Don Quichotte fut le silence merveilleux qui régnait dans toute la maison... "), elle a écrit : Ne pas oublier de me suicider. " Le 25 septembre 1972, elle s'en est souvenue." Alberto Manguel (extrait de la postface)

Alejandra PIZARNIK – Introduction de Béatrice Leca (France Culture, 2012)

l y a cinq ans, grâce à la publication de son Œuvre poétique (Actes Sud), on pouvait mesurer l'importance d'Alejandra Pizarnik, écrivain argentin qui n'a vécu que trente-six ans, dont quatre à Paris (entre 1960 et 1964), au cours desquels elle sympathisa avec Yves Bonnefoy, Henri Michaux, Octavio Paz, Julio Cortazar et André Pieyre de Mandiargues.
Le 25 septembre 1972, elle accomplissait l'acte fréquemment annoncé dans son journal et tenté vainement deux ans plus tôt. En se suicidant, elle mettait un terme à une souffrance sans cesse ranimée. Poésie et mort sont le plus souvent placées sur le même plan dans ses notes intimes.

C'est Silvia Baron Supervielle qui, après avoir traduit la plupart de ses poèmes, a fait le choix des passages de la très importante liasse de ce journal. La lecture passionnante de ces réflexions douloureuses ne doit pas se substituer à celle des poésies de Pizarnik, mais permet d'évaluer la culture, la lucidité, la rigueur de cette femme passionnée et dure, qui quêtait et redoutait la folie en elle-même. Convaincue que la mort volontaire était la seule solution, elle n'était pourtant pas dépourvue de vitalité. Virginia Woolf était un de ses phares. Et aussi Dostoïevski, Joyce, Borges, les soeurs Ocampo, Cristina Campo, singulier auteur des Impardonnables.

On cherchera en vain une clé de cette obsession suicidaire dans les centaines de pages laissées en friche. "Le sentiment de solitude et d'abandon est une maladie, écrit-elle à 24 ans, après avoir lu Les Nuits blanches de Dostoïevski, dont l'héroïne, on s'en souvient, tente de se tuer au début de la nouvelle. Quand apparaît-il ? Pourquoi n'y a-t-il pas eu une mère pour l'en empêcher ?" Ce suicide avec lequel, dit-elle, elle "flirte" finira par s'imposer implacablement.



Alejandra Pizarnik 1936-1972 est une poétesse argentine.

Elle est née au sein d’une famille d'immigrants juifs d'Europe Centrale. Après avoir passé son baccalauréat à Avellaneda, Argentine, elle est admise en 1954 à la faculté de philosophie de l'Université de Buenos Aires. Elle abandonne ce cursus pour suivre une formation littéraire avant d'intégrer la faculté de Journalisme. Finalement, afin de trouver sa vraie voie et sans avoir achevé aucune des formations qu'elle avait entreprises, elle travaille dans l'atelier de peinture de Juan Batlle Planas.

Entre 1960 et 1964, elle séjourne à Paris où elle travaille comme pigiste pour le journal Cuadernos para la liberacion de la culture. Durant cette période, elle participe à la vie littéraire parisienne, ce qui la conduit à multiplier les rencontres d'écrivains et à se lier d'amitié avec André Pieyre de Mandiargues, Octavio Paz, Julio Cortazar et Rosa Chacel. Au cours de son séjour à Paris, elle suit également des cours à la Sorbonne.

Durant les années suivantes, après être rentrée en Argentine, elle publie à Buenos Aires ses ouvrages les plus importants . Elle collabore dans différentes revues littéraires : Agua Viava, El grillo de papel, Poesia Testigo.
En 1968, elle obtient une bourse Guggenheim et fait un bref séjour à New York et à Paris.

Après deux tentatives de suicide en 1970 et 1972, elle passe les cinq derniers mois de sa vie dans l'hôpital psychiatrique Pirovano de Buenos Aires. Elle se donne la mort à l'âge de 36 ans.

" Ecrire, c'est donner un sens à la souffrance, notait-elle dans son journal en novembre 1971. [...] Dans son journal, le 30 octobre 1962, après avoir cité Don Quichotte (Mais ce qui fit le plus plaisir à Don Quichotte fut le silence merveilleux qui régnait dans toute la maison... "), elle a écrit : Ne pas oublier de me suicider. " Le 25 septembre 1972, elle s'en est souvenue." Alberto Manguel.

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