lundi 15 novembre 2021

Film - 5/5 - Petite fille - 2020

 « Petite fille » : « Je crains le prosélytisme »


Entretien Selon le pédopsychiatre Daniel Marcelli (1), « Petite fille », le film documentaire de Sébastien Lifshitz (2), a le mérite de faire reconnaître la souffrance de l’enfant qui ne se sent pas en adéquation avec son sexe biologique. Mais il semble ignorer la complexité de la construction de l’identité de genre.

La Croix : Le documentaire « Petite fille » de Sébastien Lifshitz met en scène Sasha, né garçon et âgé de 7 ans, qui ne se sent pas en adéquation avec son sexe biologique. Elle aspire à vivre comme une fille et à se voir reconnaître comme telle. Comment percevez-vous ce film ?





Daniel Marcelli : Au-delà de son aspect documentaire, c’est un film très travaillé, mis en scène, scénarisé. Je l’ai perçu comme un manifeste, visant à dénoncer la souffrance de ces enfants, afin que leur situation soit considérée. Le documentaire dénonce la rigidité de l’école, et le conformisme de la société. On ne peut pas ignorer les maux de cet enfant qui souffre d’une dysphorie de genre majeure. Sasha doit être reconnue et il faut tout faire pour l’apaiser. Au nom de quoi ne pourrait-elle pas porter de vêtements féminins, si cela la soulage ? Où est le mal, à condition qu’il n’y ait pas de geste chirurgical dans l’enfance ?


La reconnaissance de la souffrance de cet enfant peut certes favoriser une prise de conscience salutaire, un assouplissement du système. Mais le risque de lobbying m’inquiète. Derrière cette forme de reconnaissance sociale, je crains le prosélytisme. Là où il aurait fallu la retenue nécessaire. Dans le film, la mère adopte le point de vue de son enfant, puis devient de plus en plus combative pour faire reconnaître celui-ci comme une fille, notamment à l’école. Mais, à la puberté, que va-t-il se passer ? Sasha va-t-elle suivre un traitement hormonal, chirurgical ? Le documentaire ne le dit pas.

Quel rôle jouent les parents de Sasha ?


D. M. : Il existe une forte proximité, une complicité chaleureuse, entre Sasha et sa mère. Elles se font mutuellement du bien. Mais on peut se poser une question : qui accomplit le désir de l’autre ? Dans ce cas, je n’ai pas la réponse. Toutefois, Sasha fait tout pour plaire à sa maman. Un enfant se sent d’autant mieux qu’il est porté par l’admiration de ses parents. J’aurais aimé voir comment Sasha se comporte seule avec la pédopsychiatre, comment elle lui parle spontanément.


La dysphorie de genre est-elle plus répandue aujourd’hui ?



D. M. : Les consultations spécialisées en « dysphorie de genre » accueillent de plus en plus d’enfants qui sont de plus en plus jeunes. Cependant, il faut distinguer le cas des très jeunes enfants comme Sasha, de celui des adolescents, qui doutent de leur identité sexuée. Il ne faut pas faire d’amalgame entre les situations manifestes de dysphorie de genre, comme celle-là, et les situations plus nuancées, d’enfants plus grands, en plein flottement identitaire. Pour englober toutes ces situations, on parle de « transidentité ».



Le monde n’est pas partagé entre noir et blanc : entre les deux, il y a toutes les nuances de gris. C’est la même chose entre l’homme et la femme, le masculin et le féminin. La construction de l’identité sexuée est fragile, composite. Le genre se construit progressivement, dans un contexte propre à la biologie, à la physiologie, à l’histoire familiale, sociale, etc. Ainsi, par exemple, un adolescent peut passer par un stade de développement de « pratiques homomorphiques », afin de se rassurer avec un autre qui a un corps identique, sans devenir pour autant homosexuel à l’âge adulte.



Le risque, c’est que de plus en plus de demandes de transitions sexuelles soient formulées, et que des personnes situées dans des « zones grises » s’engagent dans des actes chirurgicaux définitifs. Aujourd’hui, chacun a le droit de choisir le genre dans lequel il veut exister. En même temps, il a besoin qu’on reconnaisse son choix et se pose en victime s’il ne l’obtient pas. C’est tout le paradoxe de l’individu… Nous, pédopsychiatres, avons le devoir d’être prudents, d’accepter le doute, de se donner du temps.

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