dimanche 26 décembre 2021

Livre - Un voile sur le monde - Chantal de Rudder


Qui n'a pas constaté l'ahurissante propagation du voilement, là où on ne le voyait plus, mais aussi là où on ne l'avait jamais vu ? Pourquoi, comment ce phénomène, qui nous dérange, nous laisse perplexes et impuissants, a-t-il conquis le monde ? La journaliste Chantal de Rudder s'est attelée à en chercher la signification, en retracer la genèse, forte d'un long passé de reportages et d'enquêtes qui lui ont fait parcourir la planète. Théocraties en perte de vitesse vs États multiculturalistes, Orient ou Occident, elle nous infiltre au coeur de pays emblématiques d'une pratique devenue commune, à un tournant de l'histoire. En Iran, premier pays à avoir fait du voile une obligation légale - il fut inscrit dans la loi en 1979 -, des femmes arrachent aujourd'hui leur tchador, autrefois symbole d'une révolution qui changea la face du monde ; en Arabie, qui dépensa sans compter pour exporter son islam rigoriste sur toute la planète, les Saoudiennes ont le droit de conduire, de travailler, de porter le voile « à la cool » : vérité ou leurre ? Pourquoi le Danemark, démocratie tolérante sans passé colonial ni conflit avec des États musulmans, est-il le pays des caricatures de Mahomet et un avant-poste du combat contre l'islamisme ? Comment la Belgique, petit royaume prônant la « laïcité pluraliste », est-elle devenue, au fil des décennies, la matrice du terrorisme islamiste sur le vieux continent européen ignorant et cupide ? Et que dire de ces pays occidentaux, États-Unis en tête, où fleurit le courant islamiste décolonial diabolisant l'universalisme des Lumières, dénoncé comme raciste et destructeur ? Derrière le voile, se cachent luttes et chaos de l'histoire contemporaine. Ce bout de tissu raconte les rapports difficiles entre les religions, entre les cultures, entre les sexes, entre les êtres humains... 


Chantal de Rudder, “Le voile .... sixième pilier de l’islamisme”
Abandonné par les pays musulmans à partir des années 1930, le voile y a été réintroduit par les Frères musulmans au moment où l’Angleterre inventait la minijupe. Inconscientes d’être instrumentalisées dans leur stratégie de reconquête qui se déploie désormais en Occident, les musulmanes sont tenaillées entre la peur et l’idéologie victimaire.
Causeur. Quelle histoire nous raconte le voile ?
Chantal de Rudder. Une histoire extraordinaire, unique peut-être, la résurgence d’une coutume qu’on croyait trépassée et qui ressuscite, des décennies plus tard, sur la planète entière, dotée d’une nouvelle signification ! Ma grand-mère juive tunisienne portait le voile. Sur tout le pourtour méditerranéen, et jusqu’aux confins de la Chine, le voile fut un attribut de la société patriarcale, non celui d’une religion spécifique. Le Coran n’ordonne pas le voile, il enjoint la pudeur aux femmes, comme aux hommes d’ailleurs. Cela explique pourquoi, à partir des années 1930, certains pays musulmans s’autorisent à l’abolir sans avoir l’impression de commettre un sacrilège. Le voile est considéré par les dirigeants musulmans d’alors comme le symbole d’une arriération qui a permis la colonisation ou la domination occidentale. L’Iran des Palhévis ou la Turquie d’Atatürk, puis la Bosnie de Tito en décrètent l’abolition autoritaire. Ailleurs, en Égypte ou en Tunisie par exemple, il se raréfie à la faveur de réformes du statut féminin.

Au même moment, les Frères musulmans, confrérie fondée en 1928 par Hassan el-Banna, développent une stratégie inverse de reconquête de la société via les femmes : contre l’occidentalisation honnie, le hijab qu’ils préconisent proclame sans bruit l’adhésion de la population non à l’islam de papa, mais à l’islam politique qui réclame la charia comme constitution. L’évangélisation par le voile, c’est l’idée maîtresse des Frères, leur concept conquérant. Dans les années 1950, le voilement frériste est affiné, il se démarque de la tradition. Dans les années 1960, il se limite à un phénomène de campus. Les militantes du hijab n’auraient pourtant jamais eu accès aux études si l’abolition du voile ne les avait pas délivrées du confinement dans l’espace domestique ! Comme la minijupe de Mary Quant dans le « Swinging London » de la même époque, l’uniforme avant-gardiste des soldates de la foi cairotes annonce une société en mutation. Et deux civilisations qui s’éloignent l’une de l’autre.

De quoi le voile est-il le symbole aujourd’hui ?

« La grande victoire des islamistes, m’a dit l’historienne Sophie Bessis, est d’avoir convaincu une partie de la population que porter le voile était un attribut religieux. » Et de fait, c’est un succès remarquable ! Même les Occidentaux s’y sont laissé prendre. Il y a celles qui croient obéir à la religion mais aussi celles qui affirment ainsi un choix identitaire et politique anti-occidental. Une « occidentalophobie » pourrait-on dire pour copier une terminologie chère aux islamistes qui font un usage immodéré du mot « islamophobie ». Le voile n’est pas l’un des cinq piliers de l’islam. En revanche, il est le sixième pilier de l’islamisme, son produit dérivé phare, celui qui lui confère une visibilité quasi publicitaire dans l’espace public. Dans mon livre, j’ai comparé le voile à une muleta. La muleta est un leurre en tissu qui permet au matador de réaliser une série de passes et cache une épée.

Donc, les femmes voilées en France manifestent leur désapprobation de la société dans laquelle elles vivent…

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