L'auteur Abdulrazak Gurnah recevant son prix Nobel de Littérature à Londres, le 6 décembre 2021.
L’Afrique littéraire a le vent en poupe. Ses écrivains ont raflé cette année quelques-unes des grandes récompenses littéraires du monde occidental, dont le prestigieux prix Nobel de littérature qui a distingué le romancier anglo-tanzanien Abdulrazak Gurnah. Ces distinctions donnent une plus grande visibilité aux littératures africaines, longtemps minorées, voire ignorées.
La littérature africaine est à l’honneur du côté de Stockholm en ce début de semaine, avec au programme la remise des prix Nobel. Mais pandémie oblige, les lauréats de cette année n’iront pas à Stockholm pour recevoir leurs prix. C’est à Londres que le romancier Abdulrazak Gurnah, lauréat du Nobel de littérature 2021, s’est vu remettre le lundi 6 décembre des mains de l’ambassadeur de Suède au Royaume-Uni, sa médaille et son diplôme. C’est à partir de Londres qu’il prononce ce mardi 7 décembre son discours de réception diffusé en direct sur le site internet de la Fondation Nobel.
Le discours de Nobel est un moment très attendu, important dans la vie d’un écrivain nobélisé, qui utilise cette tribune pour revenir sur sa vie, son œuvre, son art, sa vision du monde. Gurnah qui est né à Zanzibar en 1948, vit depuis plus d’un demi-siècle en Angleterre, où il s’est réfugié fuyant les turbulences dans son pays à la fin de la colonisation. Il est l’auteur de dix romans et de nombreuses nouvelles, dont les thèmes tournent autour de la question de l’immigration et de l’identité. Selon le jury du Nobel, il a été récompensé pour sa « narration empathique et sans compromis des effets du colonialisme et le destin des réfugiés pris entre les cultures et les continents ».
Pour son éditrice française Emmanuelle Collas qui a publié en France deux romans de Gurnah1, c’est son écriture située au carrefour du mythe et de l’histoire, tout en restant en phase avec les grandes interrogations de notre époque, qui fait la force des récits-mondes de ce conteur hors pair. « C’est un écrivain qui a fait de son œuvre un lieu de réflexion sur les migrants et les demandeurs d’asile, souligne Emmanuelle Colas. La particularité de l’œuvre d’Abdulrazak Gurnah, c’est d’explorer des destins individuels, en les entremêlant avec une histoire passée ou présent. Tout cela, par ailleurs, s’inscrit dans une mémoire collective qui brasse des mythes. C’est ça que j’ai aimé, que j’aime toujours dans ce qu’écrit ce romancier. »
Une année faste
2021 a été une année faste pour les auteurs africains.Outre le Nobel, les écrivains africains ont remporté cette année plusieurs grands prix dont le Goncourt, remporté par Mohamed Mbougar Sarr et le Booker Prize, par David Diop. On a parlé d’un « tir groupé de prix européens ». C’est une formidable reconnaissance. Il n’en reste pas moins que c’est une reconnaissance tardive.
L'écrivain sénégalais Mohamed Mbougar Sarr après avoir remporté le Prix Goncourt à Paris le 4 novembre 2021 Bertrand GUAY/AFP
Les grands oubliés des prix littéraires du côté francophone ont pour nom Senghor, Césaire, Ahmadou Kourouma, Sony Labou Tansi, pour ne citer que ceux-là. L’occultation de ces grands fondateurs des lettres africaines constitue une erreur de jugement, comme le soutient l’universitaire indienne Kusum Aggarwal, grande spécialiste des littératures africaines. « Cette reconnaissance vient avec beaucoup de retard, fulmine-t-elle. Cela fait un moment que les Africains écrivent et il était temps que les écrivains soient reconnus, et que leurs voix se fassent entendre et que l’invisibilisation dont le continent africain a longtemps souffert, arrive à son terme. D’autant qu’il s’agit de littératures souvent très novatrices, avec une diversité de thèmes et de genres. »
Prenant la parole, le romancier togolais Sami Tchak rappelle pour sa part que les écrivains africains qui ont été distingués appartiennent pour la plupart à la diaspora. « Les littératures africaines telles qu’on les perçoit dans le monde, poursuit-il, ce sont des littératures produites par des Africains en grande majorité vivant en dehors du continent africain et publiés pour l’essentiel par des maisons d’édition occidentales. Toutes les littératures qui se produisent sur le continent sont très peu connues. C’est seulement lorsque l’auteur est publié à l’extérieur du continent africain qu’on finit par le repérer et on l’intègre dans ce que l’on appelle la "littérature africaine" ».
Or, pour tardive qu’elle soit, cette reconnaissance a forcément un impact sur la réception des littératures d’Afrique. Il est vrai que les prix changent le regard qu’on porte sur l’auteur primé et sur son pays d’origine. Ils changent aussi les attentes des lecteurs. Pendant longtemps, les lecteurs en Occident ont lu les romans africains comme des témoignages anthropologiques ou sociologiques sur les sociétés africaines. En attribuant le prix Goncourt cette année à Mohamed Mbougar Sarr qui a fait de sa quête littéraire le thème de son roman récompensé, le jury parisien a privilégié la dimension esthétique et imaginative de cette littérature.
L’école du Congo des deux rives
Enfin, comme Sami Tchak le rappelle, avec une offre littéraire de plus en plus grande, il y a aussi une prise de conscience de la diversité des traditions littéraires africaines. L’essayiste compare les productions littéraires du Sénégal à celles du Congo. « Au Sénégal, souligne le romancier, il y a eu une grande influence de Senghor et de Cheikh Hamidou Kane. Ce n’est donc guère étonnant que les écrivains sénégalais fassent preuve d’un certain classicisme au niveau de la langue comme au niveau de la narration. Leurs écritures ne sont pas comparables à celles d’un Sony Labou Tansi ou d’un Fiston Mwanza Mujila qui ont une écriture beaucoup plus imagée, plus proche des rythmes de la musique de la rumba congolaise. On peut parler d’une école du Congo des deux rives. Les auteurs de cette école sont moins dans l’intellectualisme et plus dans l’image et la musicalité ».
L’Afrique n’est pas un pays, mais un continent, le deuxième plus grand continent du monde. Par conséquent, ses traditions, ses littératures se conjuguent au pluriel. Cette prise de conscience est peut-être le principal acquis de cette année faste pour les littératures africaines.
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