samedi 23 octobre 2021

Livre - La cité des mots - Alberto Manguel - Conférence "Comment un mythe récupéré peut devenir la métaphore d’une identité".


Dans cette série de conférences prononcées en 2007 à Toronto dans le cadre des Massey Lectures, tribune annuellement offerte à des penseurs contemporains pour traiter des grandes questions de notre temps, Alberto Manguel, dressant de fascinants parallèles entre les réalités individuelles et politiques du monde actuel et celles que, de tout temps, ont pris en charge le mythe, la légende et le récit, propose de prêter attention, plutôt qu'au discours d'autorités prétendument "compétentes", à ce qu'ont à nous dire, sur la manière de bâtir une société, les visionnaires - poètes, romanciers, essaystes ou cinéastes - dont les oeuvres, parce qu'elles acceptent d'assumer l'humain dans toute sa complexité, montrent la voie de l'ouverture sur laquelle peut se fonder une communauté plus juste et plus durable.

Actes Sud. 





Que veut dire l’enlèvement, sinon "le transport", de la princesse Europe, de la Phénicie vers Gortyne, en Crète, pour fonder un continent nouveau, dans le mythe grec? L'écrivain Alberto Manguel analyse "comment un mythe récupéré peut devenir la métaphore d’une identité".



Le rapt d'Europe, sur le taureau. "Sagas grecques éditées pour la jeunesse". Berlin : Verlag von Neufeld & Henius, 1902


Qui est Cadmos, l'un des frères d’Europa et le fondateur légendaire de la cité de Thèbes, qui serait à l’origine de la culture? Enfin de quelle façon le contenu des mythes, liés au rapt, sinon le viol d’Europa, peuvent-ils "constituer la pierre de touche qui prête aux peuples de l’Europe une identité commune intuitive"? Demande Alberto Manguel, titulaire de la chaire  annuelle "L'invention de l'Europe par les langues et les cultures".


Cette chaire qu’il a inaugurée au Collège de France, le 30 septembre 2021, a été créée en partenariat avec le Ministère de la Culture, "afin d’analyser les enjeux contemporains de la création intellectuelle et artistique en Europe". 


Dans sa leçon inaugurale, à partir du mythe de l’enlèvement d’Europa par le dieu grec Zeus, et ses différentes relectures, Alberto Manguel propose d’analyser "comment un récit devient un mythe et comment un mythe récupéré devient la métaphore d’une identité", alors, même, que le concept d’Europe est "instable", ne cessant de bouger "dans sa géographie, sa démographie, sa politique". 


Dans la présentation de sa leçon inaugurale, Alberto Manguel rappelle :


"Au commencement, il y a le mythe. Zeus s’éprit d’Europa, la fille du roi africain Agénor, et, métamorphosé en taureau, l’emporta en Crète où elle lui donna deux fils. Agénor envoya les deux frères d’Europa à sa poursuite, leur interdisant de réapparaître chez lui sans l’avoir retrouvée. Ils ne revinrent jamais. Le mythe est, au sens essentiel, un déplacement, une métaphore, une traduction, une « parole » (Barthes) qui signifie : « emporté d’un lieu à un autre »."



Titien (1559-1562), "Le Viol d'Europe"• Crédits : Isabella Stewart Gardner Museum/Wikicommons


L'écrivain note :


"Les mythes sont transformés, altérés, renouvelés pour correspondre aux besoins d’un temps et d’un lieu. Mais ils restent eux-mêmes pour l’essentiel, car ils ne sont pas créés en tant que fabrications de l’imagination humaine, mais (sans vouloir tomber dans un universalisme facile) comme des manifestations concrètes de certaines intuitions primordiales. Au Moyen Âge, Lactantius proposa de banaliser le mythe grec en prétendant que le taureau était simplement le nom d’un bateau. Mais le mythe perdura et en fit lever d’autres dérivés de l’histoire initiale : mythes de souveraineté (Europa, une princesse), de féminité (la bien-aimée de Zeus), de prééminence culturelle (ses frères envoyés à sa recherche) et aussi, plus mystérieusement, d’immigration et d’établissement (Europa, une résidente étrangère). Le contenu de ces mythes constitue peut-être la pierre de touche qui prête aux peuples de l’Europe une identité commune intuitive".



Europa et le taureau, 480 avant J.-C. Musée archéologique national de Tarquinia.


Où en sommes-nous au XXIe siècle, dans notre lecture du mythe et de l’usage que nous en faisons en tant que métaphore? Demande-t-il. Alors que la « langue de l’Europe, c’est la traduction » selon la formule d’Umberto Eco, l’écrivain-essayiste, polyglotte, né à Buenos Aires, qui réside aujourd’hui à Lisbonne, après avoir vécu sur plusieurs continents, s’interroge sur la façon dont la notion de traduction pourrait expliquer en partie le processus. 


Macha Séry rappelle avec justesse, pour le journal Le Monde, en 2007, qu’Albero Manguel tient « la lecture pour un acte de subversion ». 

Aucun commentaire:

Vocabulaire - Syndrome de l'imposteur

 Les personnes atteintes du syndrome de l'imposteur, appelé aussi syndrome de l'autodidacte, phénomène de l'imposteur, expérienc...