« Elle ne se contente plus d’habiter mes rêves, cette fille. Elle pousse en moi, contre mes flancs, elle veut sortir et je sens que bientôt, je n’aurais plus la force de la retenir tant elle me hante, tant elle est puissante. C’est elle qui envoie le garçon, c’est elle qui me fait oublier les mots, les événements, c’est elle qui me fait danser nue. »
Il n’y a pas que le chagrin et la solitude qui viennent tourmenter Tara depuis la mort de son mari. En elle, quelque chose se lève et gronde comme une vague. C’est la résurgence d’une histoire qu’elle croyait étouffée, c’est la réapparition de celle qu’elle avait été, avant. Une fille avec un autre prénom, qui aimait rire et danser, qui croyait en l’éternelle enfance jusqu’à ce qu’elle soit rattrapée par les démons de son pays.
A travers le destin d’une « fille gâchée », Nathacha Appanah nous offre une immersion sensuelle et implacable dans un monde où il faut aller au bout de soi-même pour préserver son intégrité. Nathacha Appanah est l’auteure notamment de 'Le Dernier Frère', 'Tropique de la violence' et 'Le Ciel par-dessus le toit', traduits en plusieurs langues. 'Rien ne t’appartient' est son dixième livre.
Nathacha Appanah : "Avoir une ambition de forme me donne une liberté incroyable"
Romancière, journaliste et traductrice, Nathacha Appanah signe "Rien ne t’appartient" chez Gallimard en cette rentrée littéraire. Au micro d’Arnaud Laporte le temps d’un entretien au long cours, elle revient sur son parcours, de l’île Maurice à la France, et nous immerge dans ses imaginaires.
Nathacha Appanah• Crédits : JOEL SAGET / AFP - AFP
Nathacha Appanah, romancière dont les ouvrages ont souvent restitué les tragédies cachées et révélé les revers des rêves, a su imposer son style tant lumineux qu’anguleux. Avec Rien ne t’appartient qui vient de paraître dans la Collection Blanche de Gallimard, elle nous raconte l’histoire de Tara, une héroïne au destin troublé qui se voit rattrapée par son passé après le décès de son mari. Un nouvel opus bien accompagné en cette rentrée puisque son roman Le ciel par-dessus le toit paru en 2019 est édité dans la Collection Folio, et que son texte multi-primé Tropique de la violence est adapté et mis en scène par Alexandre Zeff, du 13 au 24 septembre 2021 au Théâtre de La Cité Internationale avant de partir en tournée. Autant de belles occasions de revenir, en sa présence et au micro d’Arnaud Laporte, sur son parcours et son processus créatif.
A propos de ce nouveau roman, dont elle nous confie qui est le fruit d'un travail long de vingt ans, elle déclare :
Je ne crois pas que ce texte soit placé dans un pays où certaines femmes s'y retrouveraient, mais certaines femmes seulement. Il me semble que le destin de cette jeune fille et de cette femme pourrait avoir des échos sur tous les continents.
Entre deux mondes
Née à l’Ile Maurice, Nathacha Appanah descend d’une famille « d’engagés » indiens de la fin du XIXe siècle, les Pathareddy-Appanah, contraints à l’exil forcé et enrôlés pour remplacer les esclaves affranchis. C’est bercé par ces histoires devenues légendes mais aussi par le télugu que lui parlait sa grand-mère que la future écrivaine grandit.
J'ai eu la chance de vivre dans la même maison que mes grands-parents et de côtoyer de manière quotidienne et intime ma grand-mère qui me parlait très librement. Elle me racontait des histoires de camps. [...] Je la suivais tout le temps. Je l'accompagnais. Quand nous allions prendre le bus, elle me montrait de l'autre côté de la rue et me disait de ne jamais aller là-bas parce que là-bas était le camp, et elle en était sortie. C'était pour moi comme si elle me montrait une prison, quelque chose de dangereux, d'effrayant.
De cette relation à son pays en clair-obscur, elle tire plus tard son premier roman : Les Rochers de Poudre d’Or, roman qui lui vaut le prix RFO du Livre 2003 et impose son style lumineux et anguleux à la fois sur la scène littéraire.
Ressusciter l’histoire de l’exil forcé de ses arrière-grands-parents et plus largement restituer les tragédies cachées, telle est la vaste entreprise que poursuit Nathacha Appanah au fil de ses romans. Les paradis trompeurs, les personnages hantés par leur enfance, la transmission, le paysage comme écho des émotions, l’autobiographie, et bien d’autres sont autant de motifs qu’elle explore dans Blue Bay Palace (Gallimard, 2004), son deuxième roman, mais aussi La Noce d’Anna (Gallimard, 2005), ou encore Une année lumière. Le Dernier frère, paru aux éditions de l’Olivier en 2007 et prix du roman Fnac, a marqué les esprits. On y découvre l’histoire de Raj et de David, deux enfants qui firent face à la seconde guerre mondiale dans un camp de juifs déportés à l’île Maurice.
Mes personnages ont toujours un carcan social, culturel, parfois physique aussi, et un carcan de l'ordre de l'enveloppe corporelle. […] Je me rends compte que c'est cette lutte-là entre la naissance ou ce qu'on appelle le destin ou la fatalité, et les différentes manières de sortir de là, le choix large qu'on a de faire ce chemin là ou d'en faire un autre, ce sont des choses qui m'inspirent.
Une écrivaine sans frontières
Enfant, Nathacha Appanah lit L’Etranger de Camus :
Ce texte est toujours resté pour moi comme un texte de rappel à la simple nécessité de dire ce qu'il faut dire et ne pas en rajouter.
Au vertige de cette lecture succède la révélation : le français sera sa langue d’écriture, et non pas le créole, sa langue maternelle, ou l’anglais qu’elle apprend comme le français. Marquée par un besoin de théâtre, de cinéma, de littérature, la jeune autrice se nourrit d’extraits littéraires et de journaux francophones, et se ainsi construit un « monde imaginaire ».
On parlait le créole avec mes grands-parents, je parlais quelques langues indiennes. À l'école, on parlait l'anglais et le français. Je dirais que les premiers textes que j'ai lus étaient des textes en français. Et comme j'étais une enfant très secrète, ces textes-là me semblaient s'adresser à moi et à moi seule. Ils éveillaient des sentiments, des paysages, ils éveillaient d'autres histoires que la mienne. J'ai commencé à penser par moi-même dans cette langue-là.
La France, où elle vient s’installer en 1998, est le décors de quelques-uns de ses récits, notamment En attendant demain et Le Ciel par-dessus le toit. Ecrivaine sans frontière, elle implante Tropique de la violence sur l’île de Mayotte où elle a vécu l’espace de deux ans et nous plonge là encore dans les coulisses sordides de l’île idyllique.
Dans ses récits comme dans la vie, Nathacha Appanah ne cesse d’écumer le monde. Journaliste de formation, elle fournit en parallèle de son travail de romancière des reportages et des chroniques pour de nombreux journaux. Elle est également traductrice.
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