LE DERNIER DUEL
Basé sur des événements réels, le film dévoile d’anciennes hypothèses sur le dernier duel judiciaire connu en France – également nommé « Jugement de Dieu » – entre Jean de Carrouges et Jacques Le Gris, deux amis devenus au fil du temps des rivaux acharnés. Carrouges est un chevalier respecté, connu pour sa bravoure et son habileté sur le champ de bataille. Le Gris est un écuyer normand dont l’intelligence et l’éloquence font de lui l’un des nobles les plus admirés de la cour. Lorsque Marguerite, la femme de Carrouges, est violemment agressée par Le Gris – une accusation que ce dernier récuse – elle refuse de garder le silence, n’hésitant pas à dénoncer son agresseur et à s’imposer dans un acte de bravoure et de défi qui met sa vie en danger. L’épreuve de combat qui s’ensuit – un éprouvant duel à mort – place la destinée de chacun d’eux entre les mains de Dieu.
Critique du film
Nul doute que la carrière de Ridley Scott ces dernières années aura été jalonnée de projets aussi éclectiques que déroutants. Après un retour à sa célèbre saga avec un Alien : Covenant bourrin et ultra nihiliste (à peu près détesté par tout le monde) et le bancal mais passionnant Tout l’argent du monde, le réalisateur britannique revient en force avec pas moins de 2 œuvres à nous proposer en 2021 ! Le dernier duel est le premier d’entre eux à débarquer sur nos écrans. Et à 83 ans passés, on peut dire que le cinéaste ne choisit pas la facilité en s’attaquant à un sujet aussi ambitieux sur le fond que sur la forme.
Les derniers duellistes
Dès l’annonce du projet, nombreux sont ceux à avoir noté les similitudes entre Le dernier duel et Les duellistes, premier long-métrage du cinéaste datant de 1977. Et il est vrai qu’au-delà des titres vaguement semblables, des ponts entre les deux œuvres semblent inévitables : du tournage en Dordogne dans les mêmes décors naturels à une intrigue suivant la rivalité entre deux personnages sur plusieurs années, les deux films semblent se faire écho. La comparaison pourrait s’avérer artificielle si elle s’arrêtait là mais on sent dans les deux cas une volonté du réalisateur de soigner ses plans pour leur donner une dimension picturale d’une beauté saisissante.
Dans Les duellistes, c’est toute l’influence de Barry Lyndon qui transpirait lors de plans fixes extrêmement construits. Dans Le Dernier duel, Scott fait moins durer ses plans mais profite du cadre historique de son récit pour puiser dans une imagerie ‘’clair-obscur’’ tout droit venue des tableaux de la Renaissance. Il joue ainsi magnifiquement des lumières qui éclairent ses personnages, notamment lors de scènes d’intérieurs qui contrebalancent drastiquement avec les teintes glaciales et âpres des décors extérieurs. La richesse de la photographie de Dariusz Wolski (à l’œuvre sur tous les films de Scott depuis Prometheus) donne une identité forte au film qui tranche avec l’aspect (trop) lisse qu’a pu donner le numérique sur des récentes productions du genre.
Si tous les éléments précédemment cités permettent d’effectuer d’intéressants parallèles avec le premier long-métrage du réalisateur, on peut y voir malgré tout un geste radicalement différent dans le traitement opéré ; Le dernier duel se posant presque en contrepoint des Duellistes. Ainsi, dans le film de 1977, la raison de la querelle entre les deux protagonistes était complètement ignorée par les personnages et la mise en scène, rendant la confrontation entre les deux hussards complètement absurde. Or, ce sont précisément les causes du duel qui sont au cœur du récit investit par Scott en 2021. C’est même précisément autour de ces raisons que s’articulent tout le dispositif narratif et la mise en scène.
La vérité est ailleurs…
Divisé en trois chapitres qui proposent chacun une variation de regard sur l’histoire racontée, le film aborde l’éternelle question du point de vue et donc de la représentation de la vérité au cinéma. Si le procédé n’est pas nouveau (on pense fortement à Rashômon) et pourra sembler un poil programmatique par instant, force est de constater qu’il fonctionne ici à plein régime, et ce grâce à une mise en scène au plus proche de ses personnages et un montage qui joue habilement des ellipses, inserts et basculements de cadrages. Chaque segment (d’une quarantaine de minutes chacun) est présenté selon ‘’La vérité’’ vécue par le personnage au centre du chapitre. De ce fait, certaines scènes sont revues (et corrigées) à chaque chapitre, mais dans des versions légèrement (et moins légèrement !) différentes, voire carrément dissonantes. Un choix de narration judicieux qui offre un terrain de jeu propice au développement des personnages, le regard du spectateur sur ces derniers évoluant constamment.
Les rouages du scénario (écrit à trois mains par Ben Affleck, Matt Damon et Nicole Holofcener) et de la réalisation de Scott permettent avant tout de remettre en perspective un fait historique pour poser sur ce dernier un regard résolument moderne sur rien de moins que la place de la femme dans la société ! En choisissant de présenter le personnage de Lady Marguerite via le regard que portent les hommes sur elle dans les deux premiers chapitres, le film prend le temps de disséquer tout un système patriarcale et masculin(iste) qui résonne de manière troublante avec des questions sociétales très actuelles ! Tout cela avant de donner enfin la parole à la victime dans un dernier segment saisissant qui rend autant hommage au courage de son héroïne qu’il démontre implacablement l’impasse dans laquelle se retrouvent systématiquement les femmes victimes d’agression sexuelle, devant choisir entre un silence dévastateur ou une humiliation publique. Comme le dit l’un des très beaux seconds rôles du long-métrage, ‘’La vérité importe peu, seul le pouvoir des hommes compte’’.
La puissance du sujet traité est renforcée par une interprétation sans faille de l’ensemble des comédiens dont Matt Damon et Adam Driver, parfaits dans deux incarnations d’une certaine masculinité toxique. Mais c’est évidemment la superbe interprétation de Jodie Comer (vue récemment dans Free Guy) que l’on retiendra longtemps après la projection. La multiplicité des points de vue impose à la comédienne de changer par trois fois son jeu, ce qu’elle réalise avec une subtilité rare et jamais démonstrative. Il faudra attendre le dernier chapitre et le female gaze offert par la mise en scène et le script pour admirer l’incroyable palette de jeu de Jodie Comer dans une scène de procès absolument déchirante. Lady Marguerite rejoint de ce fait le panthéon des héroïnes féministes passionnantes d’un cinéaste qui n’aura eu de cesse de mettre en avant le féminin dans des films de grande ampleur.
Certes, on pourra sans doute reprocher au film un discours un peu trop appuyé par instant (la symbolique de l’étalon noir et la jument blanche par exemple) mais rien qui ne doivent empêcher l’appréciation de cette œuvre importante et universelle qui sous couvert d’un récit chevaleresque et épique pose un regard contemporain passionnant et nécessaire pour (re)donner une voix aux femmes.
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