« “Emmanuelle”, la plus longue caresse du cinéma français », sur Arte : anatomie d’un mythe
Le documentaire de Clélia Cohen revient sur l’histoire de ce film érotique à petit budget, sorti en 1974, auquel peu croyaient, et qui deviendra un succès planétaire.
A l’origine, il y eut un livre, Emmanuelle (1959), publié par le frondeur Eric Losfeld, écrit par Emmanuelle Arsan, le pseudonyme de la Thaïlandaise Marayat Bibidh, devenue Marayat Rollet-Andriane par son mariage avec un diplomate français. Selon les uns, elle l’aurait écrit seule ; pour d’autres, il aurait été rédigé à quatre mains, voire exclusivement par son époux.
Au début des années 1970, une période encore coincée mais qui se libère, Yves Rousset-Rouard tente, pour ses premiers pas dans le métier de producteur de cinéma, de « faire beaucoup d’argent avec un petit financement ». Il veut acheter les droits d’adaptation du livre, mais ils sont déjà réservés par les frères Robert et Raymond Hakim, deux grands noms de la profession. Par chance, ceux-ci n’ont pas prorogé la période de préemption.
Yves Rousset-Rouard engage Jean-Louis Richard, coscénariste de François Truffaut, et charge de la réalisation le photographe Just Jaeckin, dont il a vu et aimé les images. Le hasard les fait tomber sur la jeune Hollandaise Sylvia Kristel, encore inconnue, « un grand échalas blond » à la fraîcheur et au naturel séduisants.
A l’époque, on est encore très loin de ce qu’il se passe aux Etats-Unis, où un film « hard » comme Deep Throat (Gorge profonde, 1972), de Gerard Damiano, est sorti en salle et a attiré un public considérable. La loi française impose encore une représentation plus « soft » de la sexualité, ce à quoi se tiendront les protagonistes d’Emmanuelle, tout en essayant de rester dans le sillon sulfureux du Dernier Tango à Paris (1972), de Bernardo Bertolucci.
Ils rêvent même que Marlon Brando donne la réplique à Sylvia Kristel. Mais ce sera Alain Cuny, certes aperçu dans Satyricon, de Federico Fellini, sorti pendant l’érotique année 1969, mais plutôt associé à l’austère univers de Paul Claudel… Le patronyme de l’acteur (qu’elle juge cocasse à l’affiche d’un tel film) amuse d’ailleurs l’une des intervenantes du documentaire de Clélia Cohen, qui retrace et commente l’histoire de ce film devenu mythique.
L’« idée du siècle pour une somme dérisoire »
Tourné avec quelques sous en Thaïlande, Emmanuelle, auquel personne ne croit vraiment, sort en salle en juin 1974 : il fera, en première semaine, le double d’entrées du Dernier Tango à Paris, et en totalisera 25 millions après un an d’exploitation. Il restera douze ans à l’affiche d’un cinéma des Champs-Elysées, à Paris, en face même du bureau des frères Hakim, qui auront raté l’« idée du siècle pour une somme dérisoire »…
Yves Rousset-Rouard exploitera encore deux fois le filon (Emmanuelle 2, 1975, et Goodbye, Emmanuelle, 1977) puis deviendra le producteur d’un autre grand succès, Les Bronzés (1978), de Patrice Leconte. Son coproducteur ne changera pas de main et poursuivra, avec deux autres volets de la série. Mais sans Sylvia Kristel, dont « la destinée est de se ranger des voitures et de devenir la salope d’un seul homme », ainsi que le dit en mots crus mais justes l’autrice, actrice et réalisatrice Ovidie.
Sylvia Kristel, disparue en 2012, tournera certes pour Claude Chabrol, dans Alice ou la Dernière Fugue (1977), mais elle n’échappera jamais à l’image d’elle fixée par Emmanuelle, où elle aura « libéré les femmes en s’emprisonnant pour toujours » ainsi qu’il est dit en amère conclusion.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire