Le début des années 2010 a vu surgir un phénomène qui s’est lui-même nommé « woke ». Être « woke » signifie être « éveillé ». Il s’agit ici d’être éveillé aux injustices que subissent les minorités dans les pays occidentaux. Par certains aspects, cette idéologie procède du postmodernisme. Elle connaît une forte progression. L’émergence de cette nouvelle culture morale, dans laquelle le statut de victime devient une ressource sociale, requiert certaines conditions, parmi lesquelles on trouve, notamment, une atomisation sociale et un niveau de diversité ethnique et sexuelle élevé. La bureaucratisation et la juridisation de la société jouent également comme des facteurs essentiels, assurant la reconnaissance de ce statut de victime par des tiers détenteurs de l’autorité et permettant d’imposer un véritable « ordre woke ».
Ces conditions sont toutes plus ou moins présentes dans les sociétés occidentales mais plus particulièrement sur le campus des universités américaines, là où le « wokisme » y est le plus influent. Le plus souvent, les militants sont issus de familles aisées. Enfants, ils ont connu de trop brefs moments de jeu libre et sans surveillance. Adultes, ils peinent à se débarrasser de l’habitude prise consistant à rechercher une autorité instituée en cas de conflit avec une autre personne au lieu de le régler directement eux-mêmes. L’une des conséquences est la croissance d’une bureaucratie universitaire chargée de poursuivre et de prolonger cet état de surprotection.
Certains observateurs parient sur le fait que ce mouvement, porté essentiellement par des jeunes, reste circonscrit aux universités américaines. Cependant, force est de constater qu’il progresse rapidement, à la fois à l’extérieur des campus et en dehors des États-Unis.
Le second volume de la note sur le phénomène woke vise à analyser l’influence croissante de ce système de croyances sur nos sociétés occidentales. Cette influence peut être estimée par des enquêtes d’opinion, par la mesure des fréquences d’utilisation du vocabulaire et des concepts woke dans des ouvrages et sur les réseaux sociaux, ou encore par le nombre d’institutions clés investies par ces militants.
Sans surprise, lorsqu’une idéologie est capable d’acquérir aussi rapidement une telle influence, les conséquences sociales sont nombreuses. Ainsi, le monde universitaire – le plus touché par le wokisme – voit monter en puissance un phénomène d’autocensure et le renforcement d’un entre-soi idéologique récusant tout pluralisme et débouchant parfois sur le pire, tels ces deux professeurs qui, en 2017, craignant pour leur vie, ont dû fuir l’université d’Evergreen. Parmi les conséquences sociétales, on assiste aux États-Unis à une course à la victimisation ou, comme au Royaume-Uni, au déchaînement de velléités liberticides.
Quelques tentatives pour contrer l’expansion de cette mouvance ont vu le jour ces dernières années. Nombre d’entre elles se concentrent sur la défense de la liberté d’expression au sein des universités ; d’autres agissent au niveau législatif, tandis que des intellectuels s’efforcent de vulgariser les concepts woke afin d’en dévoiler les sophismes et d’en montrer les conséquences. Elles peuvent être redoutables.
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