Notre amour historiquement situé de la littérature nous impose paradoxalement, comme premier devoir, de nous arracher à l’historicité de cette même littérature. C’est au nom de la littérature que nous devons nous détacher de celle-ci. Voilà pourquoi il nous faut d’un seul mouvement construire et explorer la bibliothèque mondiale ou totale – et je dis bien bibliothèque mondiale, et non pas littérature mondiale. On lit la littérature mondiale, mais on lit dans la bibliothèque mondiale, on vit dans la bibliothèque du monde : deux attitudes radicalement différentes.
Qu’est-ce qu’une bibliothèque invisible? Depuis sa leçon inaugurale, William Marx, philologue-écrivain, nous invite à "Vivre dans la bibliothèque du monde". A rebours d’une littérature globale, elle rassemble une myriade de bibliothèques hétérogènes, qu'elles soient matérielles ou mentales...
Pourquoi distinguer le texte et l’oeuvre? s'interroge William Marx. Qu'est-ce qui se joue dans le fait que certains textes et œuvres peuvent être lisibles, quand d’autres sont illisibles. Qu'est-ce que cela nous apprend sur la transmission des savoirs?
Ancien élève de l’Ecole normale supérieure, agrégé de lettres classiques, titulaire de la chaire "Littératures comparées" du Collège de France, William Marx est spécialiste des traditions littéraires française, anglo-américaine, italienne et germanique comme des littératures grecques et latines.
Pour sa première série de cours au Collège de France, le philologue historien de la littérature avait proposé d’explorer ce qu’il a appelé “La bibliothèque des étoiles nouvelles,” de l’Antiquité à aujourd’hui. Il a ainsi analysé "les métamorphoses de la poésie en même temps que celles de notre connaissance du monde".
L’historien de la littérature, Jean-Louis Jeannelle, a consacré à William Marx, au moment de sa leçon inaugurale, en 2020, un beau portrait pour le journal, Le Monde. Il cite notamment son essai Le Tombeau d’Œdipe. Pour une tragédie sans tragique (Editions de Minuit, 2012).
"William Marx y note que des rares pièces antiques subsistantes dont nous tirons tout notre savoir sur la tragédie, nous ignorons le contexte d’origine, autrement dit l’essentiel. Les lieux qu’évoquaient ces pièces, les croyances religieuses que celles-ci portaient, ou encore les effets physiques qu’elles exerçaient sur les spectateurs nous restent inconnus. Qu’importe, dira-t-on, puisque demeurent les textes…".
Or la matérialité des textes, comme nous allons le découvrir dans la belle nouvelle série de William Marx, cette semaine sur les Bibliothèques invisibles, n’est pas tout.
Jean-Louis Jeannelle, après cette évocation de la transmission parcellaire de l’héritage antique, indiquait aussitôt que William Marx a été "Vacciné contre tout anachronisme par la grande latiniste et helléniste Florence Dupont dont il a suivi, jeune étudiant, les cours. Cette dernière l’avait déjà mis en garde contre les illusions que véhicule notre conception moderne de la « littérature », — réduite aux seuls textes".
Dès lors, pourquoi selon la formule de Paul Valéry, "l’œuvre de l’esprit, n’existe-t-elle qu’en actes"?
"C’est la lecture qui fait vivre les textes, rappelle Willliam Marx et dans la culture occidentale il y a un lien très fort entre les bibliothèques invisibles et les bibliothèques matérielles. Dans d’autres cultures, ce lien est moins fort, ce qui donne naissance à des bibliothèques entièrement immatérielles : les poèmes védiques avaient, par exemple, interdiction d’être mis par écrit parce que l’écrit aurait été une profanation de ces textes sacrés. Mais la bibliothèque immatérielle, et donc invisible, poursuit l'historien de la littérature, n’est pas l’apanage des cultures orientales ; elle incarne même le cas général. Les bibliothèques matérielles ne suppriment pas les bibliothèques mentales ; elles n’en constituent que le support. Les bibliothèques invisibles nous renvoient aux fondements mêmes de notre culture".
Nous gagnons le Collège de France, le 19 janvier 2021 pour le cours de William Marx, aujourd’hui "Qu'est-ce qu'une bibliothèque?"
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