Et si la cancel culture n’était que l’avatar logique, inévitable, d’une démocratie à bout de souffle, dite désormais illibérale ? L’enfant naturelle de la pensée occidentale et du capitalisme débridé, dans une société supposément universaliste, aveugle à ses impensés et incapable de reconnaître les crimes et les conséquences sans nombre de l’esclavage et de la colonisation ? N’allez pas chercher la violence de la cancel culture ailleurs que dans la brutalité du pouvoir. Là se loge le danger, et là l’impasse.
Laure Murat : « La “cancel culture”, dernier recours d’une population sans autre voix que l’Internet »
L’essayiste et historienne estime, dans une tribune au « Monde », que la stigmatisation à laquelle se livrent en ligne certains militants de gauche radicale peut certes être excessive, mais elle est l’expression de la colère d’une population marginalisée et sans autre voix qu’Internet.
C’est une guerre culturelle. Elle est à la fois plus ancienne qu’on le croit et plus inédite qu’on le pense. Dans la cacophonie des passions et des controverses qu’elle suscite et dont la presse se fait désormais quotidiennement l’écho, elle vaut surtout pour les questions qu’elle pose. De quoi s’agit-il ? De la « cancel culture », soit littéralement la culture de l’annulation, qui consiste à pointer du doigt une personnalité ou une entreprise dont un propos, ou une action, a été considéré comme répréhensible ou « offensant » et à lui retirer son soutien via les réseaux sociaux.
Cette définition, assez large pour faire consensus, désigne avant tout un mode d’expression composé de discours – de la critique à l’insulte – et d’actions – du sit-in au déboulonnage de statues. Elle recouvre une multitude de pratiques, du boycott – droit politique – au cyberharcèlement – délit moderne.
Autant dire d’emblée que la « cancel culture », dont le terme remonterait à 2015, fait du neuf avec du vieux. Elle est l’outil le plus récent d’une contestation politique de plus en plus intense, issue des minorités et de la gauche radicale américaine, s’inscrivant dans le combat des droits civiques et du féminisme, excédées par l’impunité du pouvoir et la passivité des institutions face au racisme, à l’injustice sociale, au sexisme, à l’homophobie, à la transphobie, entre autres.
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