«Crime et châtiment est-il un roman? Quand on lit certains critiques, on pourrait être induit à en douter. Il est incontestable que le livre est profondément ancré dans l'actualité, que Dostoïevski l'a voulu ainsi. Faut-il pour autant n'y voir qu'un document? Ne peut-on le commenter qu'en décrivant la société russe vers 1866 et en examinant si la reproduction est fidèle?
Une autre question se pose – mais c'est au fond la même – quand on suit ceux qui veulent décrire la pensée de Dostoïevski. Ils semblent prendre le livre pour une fable, dont la morale importerait plus que l'anecdote. Pour un peu, ils y verraient un roman à thèse. Il est certain que divers personnages reprennent des formules qui se retrouvent dans des textes non romanesques que Dostoïevski a publiés. Faut-il en déduire que ces personnages sont les porte-parole de l'auteur, et que les autres personnages ont tort? Faut-il admettre que les idées priment tout? [...]»
Dostoïevski (2/4) : Un roman fantastique ?
La Compagnie des auteurs Par Matthieu Garrigou-Lagrange et Laurence Millet. Émission diffusée sur France Culture le 05.09.2017.
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Intervenants : - Jean-Louis Backès, professeur émérite de littérature comparée à l'université Sorbonne-Paris 4 et spécialiste de littérature russe, est l'auteur d'un essai sur Crime et Châtiment, publié dans la collection Foliothèque en 1995. Il a aussi réalisé une édition critique des Démons, au Livre de Poche (2011). Il est aussi l'auteur de plusieurs romans, dont Carènes publié chez Grasset en 1984. - Georges-Marc Habib : libraire. ------------------------------------------------------------------------------
Qu’est-ce qui motive les actions humaines, et en particulier les plus radicales ? Cette question et celle de la recherche de l’absolu traversent deux des plus grands romans de Dostoïevski, 'Crime et châtiment' et 'Les Démons'. En compagnie de Jean-Louis Backès, quelques pistes de réponse. "La force de 'Crime et châtiment', c'est de ne jamais réduire en idées simples ce geste qui est presque indicible : j'ai tué la vieille." "Dostoïevski comprend qu'un homme ne peut se raconter lui-même que de plusieurs façons différentes." (Jean-Louis Backès) "Dostoïevski est l’inventeur du caractère polymorphe : c’est à dire que Molière ou Racine ou les grands classiques ont des caractères d’un seul tenant, tant dis que Dostoïevski a fait une découverte en psychologie qui est l’équivalent de celle de De Vries dans le monde de l’histoire naturelle : la mutation spontanée... Vous voyez une crapule, comme dans 'Crime et Châtiment'... qui tout à coup devient une espèce d’ange... C’est cette imprévisibilité, cet inconnu de la nature humaine qui est le grand intérêt de Dostoïevski. L’homme est un inconnu pour lui même et il ne sait jamais ce qu’il est capable de produire sous une provocation neuve." (Paul Claudel, 'Lettre à Jacques Rivière du 17 février 1912')
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