Ces deux conférences de Ruskin (1819-1900) Sésame et Les Lys, furent publiées en 1865 et Marcel Proust s’attela à leur traduction en 1904, peu après la parution de La Bible d’Amiens. Dans sa préface, « Sur la lecture », Proust évoque tout d’abord ses souvenirs d’enfance liés à ses lectures, avant de se faire plus critique et de se démarquer de Ruskin, lui portant régulièrement dans ses notes de bas de page, la contradiction et élaborant au long de sa réflexion sa conception de l’écriture. « Sésame et les lys est à bien des égards le sésame de La Recherche »Antoine Compagnon « Il n'y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré. »
« Je voudrais donner au lecteur le désir et le moyen d'aller passer une journée à Amiens en une sorte de pèlerinage ruskinien. Ce n'était pas la peine de commencer par lui demander d'aller à Florence ou à Venise, quand Ruskin a écrit sur Amiens tout un livre.Sans doute le snobisme qui fait paraître raisonnable tout ce que Ruskin touche n'a pas encore atteint (pour les Français du moins) et par là préservé du ridicule, ces promenades esthétiques. Dites que vous allez à Bayreuth entendre un opéra de Wagner, à Amsterdam visiter une exposition, on regrettera de ne pouvoir vous accompagner. Mais, si vous avouez que vous allez voir, à la Pointe du Raz, une tempête, en Normandie, les pommiers en fleurs, à Amiens, une statue aimée de Ruskin, on ne pourra s'empêcher de sourire. Je n'en espère pas moins que vous irez à Amiens après m'avoir lu. »Marcel ProustCe livre de Ruskin, consacré à Notre-Dame d'Amiens, a été publié en Angleterre en 1885 après un long voyage en 1880 pendant lequel l'auteur avait visité les cathédrales du nord de la France, Abbeville, Amiens, Beauvais, Chartres, Rouen, et puis à nouveau Amiens, où il passa la plus grande partie d'octobre. La Bible d'Amiens était destinée à être aux Sept Lampes de l'Architecture (1849) ce que Le repos de Saint-Marc (1884) était aux Pierre de Venise (1853).Il a été traduit, annoté et préface par Marcel Proust en 1904 (Mercure de France). La parution de ce volume faite suite à celle au mois de mai de Sésame et les Lys, dans la même collection, (PBR nº718).
John Ruskin, le socialiste préféré de Proust ?
John Ruskin, écrivain, critique d'art fasciné par l'architecture gothique et intellectuel engagé, qui dénonce "notre hâte moderne à devenir riches" en exploitant l'homme et l'environnement au nom du progrès de l'économie.
Matthieu Garrigou-Lagrange s'entretient avec le critique musical et essayiste Jérôme Bastianelli qui a édité l'ouvrage "Proust/Ruskin" aux éditions Bouquins/Laffont, qui présente les deux grands textes de Ruskin préfacés par Proust, "La Bible d’Amiens" et "Sésame et les Lys" et auteur du Dictionnaire Proust-Ruskin (Classiques Garnier) et avec Frédérique Campbell, traductrice des Ecrits naturels (Klincksieck)et de deux autres livres de Ruskin : Les deux chemins (Presses du Réel) et Les Matinées à Florence (Editions de l'Amateur).
Si Ruskin peut être considéré comme "le prophète de Proust", c'est notamment parce qu'il avait une approche presque religieuse de l'art. Il pouvait s’exprimer sur l’art gothique avec la même gravité qu’un chrétien évoquant le "jour où la vérité lui fut révélée", disait-il. Passionné par la peinture, il en étudie les chefs-d'œuvre à Paris et en Italie, manie le pinceau avec dextérité et donne des cours de dessin. Toutefois, c'est dans l'écriture qu'il brillera, avec un premier essai sur les "Peintres modernes" en 1843 dans lequel il soutient avec ferveur la peinture de Turner. Suivront de nombreux ouvrages, dont "Bible d’Amiens" et "Sésame et les Lys" que Proust traduira et présentera, écrivant ainsi la célèbre préface "Sur la lecture". Proust a préféré abandonné la rédaction de Jean Santeuil pour étudier l’œuvre de Ruskin dès 1899, soit un an avant la mort de ce dernier. Ruskin avait également un sens aigu de la justice. Il étudie dès 1860 l’économie politique et le réformisme social, jusqu'à s’engager corps et âme dans le combat social, convaincu qu'il est possible de changer les choses. Il anticipe la faillite de la société, gangrénée par le pouvoir de l'argent et la production de masse, et annonce même le risque d’un changement climatique provoqué par les activités humaines...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire