Mai 2016. La juge Alma Revel doit se prononcer sur le sort d'un jeune homme suspecté d'avoir rejoint l'État islamique en Syrie. À ce dilemme professionnel s'en ajoute un autre, plus intime : mariée, Alma entretient une liaison avec l'avocat qui représente le mis en examen. Entre raison et déraison, ses choix risquent de bouleverser sa vie et celle du pays...
Karine Tuil nous entraîne dans le quotidien de juges d'instruction antiterroristes, au cœur de l'âme humaine, dont les replis les plus sombres n'empêchent ni l'espoir ni la beauté.
Karine Tuil, Prix Goncourt des lycéens 2019, décrit les tourments conjugaux et professionnels d’une juge antiterroriste, adultère et confrontée à la taqiya des accusés.
La menace islamiste et le terrorisme qui s’en réclame hantent de force l’imaginaire contemporain. Les écrivains ne sont évidemment pas épargnés par ce tourment du siècle. Karine Tuil imagine une juge d’instruction antiterroriste, plongée dans cet univers de violence et de souffrances, du côté de ceux qui cherchent la vérité, en traquent les signes, sans jamais être certains d’y parvenir.
Alma Revel, née en 1967, en instance de divorce, trois enfants. Elle est mariée à un Prix Goncourt qui, passé le temps de la gloire, « rassasié d’honneurs et gonflé d’orgueil », se replie dans la religion et impose, sous son toit, la rigueur de l’orthodoxie juive. Sans concession, ni discussion.
« Aspirée par la noirceur »
Karine Tuil déplie les déboires professionnels et conjugaux de cette femme friable, « avec l’obligation de paraître forte en toute circonstance », chargée d’affronter le Mal et ses ramifications. Images insoutenables des attentats, interrogatoires tendus, confrontations pénibles avec les proches inconsolables des victimes qui se retournent contre la lenteur de la procédure.
Déboussolée, environnée par la haine des prévenus, menacée de mort, victime d’une agression malgré la protection policière, la juge Alma Revel, coordonnatrice du pôle d’instruction antiterroriste, se sent « aspirée par la noirceur ». En 2015, elle a dû pénétrer au Bataclan : « Tu entres, entravée par ton histoire, ton identité sociale, politique ; tu sors et tu comprends que ton être a été déformé, contaminé. Tu ne seras plus jamais la même. »
Entre le délitement de son couple et les décombres de l’horreur, Alma Revel s’abandonne aux bras d’un avocat, s’exposant à un double dilemme, le secret de l’adultère et le conflit d’intérêts. Son amant va défendre l’un des terroristes présumés dont Alma doit décider du sort. Aux juges de se coltiner le déni buté, habillé de feinte innocence, d’individus qui n’hésitent plus à tuer des enfants.
Dans sa quête sur le fil du rasoir, Alma doit affronter la taqiya, ruse suprême, la stratégie de dissimulation qui a permis à un certain nombre de terroristes d’endormir la surveillance, de passer sous les radars avant de mener leur œuvre de mort. « C’est une torture mentale : est-ce que je prends la bonne décision ? Et qu’est-ce qu’une bonne décision ? Bonne pour qui ? Le mis en examen ? La société ? Ma conscience ? »
Le labyrinthe obscur des choix possibles
Désarmée, en porte-à-faux, fragilisée par l’état de tension autour d’elle aiguisé par sa situation personnelle, adossée au droit qu’elle doit interpréter, vient le moment de « la décision ». Remise en liberté ou renvoi aux assises. « Le risque de prendre une mauvaise décision n’est rien comparé à la terreur de l’indécision. »
Karine Tuil malaxe, comme dans ses précédents livres, « la matière dure » de notre époque, le défi saisissant qu’il revient à cette femme de relever, perdue dans le labyrinthe obscur des choix possibles. En son âme et conscience, dans un sens ou dans l’autre, elle s’expose à l’effroi du point de non-retour.
Pouvait-elle imaginer l’issue fatale où la conduirait ce qu’on attend d’elle, ce que lui impose sa fonction, alourdie par la confusion des sentiments ? « Mon métier m’a appris que l’homme n’est pas un bloc monolithique, mais un être mouvant, opaque et d’une extrême ambiguïté, qui peut à tout moment vous surprendre par sa monstruosité comme par son humanité. »
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