La Métamorphose révèle une vérité méconnue, les conventions disparaissent, les masques tombent. Le récit qui porte ce titre est un des plus pathétiques et des plus violents que Kafka ait écrits ; les effets en sont soulignés à l'encre rouge, les péripéties ébranlent les nerfs du lecteur. C'est l'histoire, «excessivement répugnante», dit l'auteur, d'un homme qui se réveille changé en cancrelat. Cette transformation est un châtiment imaginaire que Kafka s'inflige. Et son personnage est celui qui ne peut plus aimer, ni être aimé : le conflit qui se déroule dans une famille bourgeoise prend une ampleur mythique. Seuls quelques éléments comiques ou grotesques permettent de libérer de l'oppression du cauchemar.
Un matin, au sortir de rêves agités, Gregor Samsa, se réveille transformé en "une énorme bestiole immonde". Jamais nommée mais décrite précisément, carapace dure et bombée, multitude de pattes lamentablement fluettes et grouillantes, la bête a un corps qui dégoûte quiconque l'aperçoit.
Autour de Micha Lescot qui prête sa voix à ce récit de Kafka où tout est perçu par le prisme d’un être que personne ne veut ni voir ni entendre, Syd matters mélange les sonorités modernes de la musique électronique à celles plus intemporelles d'instruments acoustiques pour délivrer une interprétation très personnelle de La Métamorphose. Un matin, « au sortir de rêves agités », Gregor Samsa, se réveille transformé en « une énorme bestiole immonde ». Jamais nommée mais décrite précisément, carapace dure et bombée, multitude de pattes lamentablement fluettes et grouillantes, la bête a un corps qui dégoûte quiconque l’aperçoit. À commencer par Gregor en personne. Il ne peut se reconnaître – et ce d’autant moins qu’il ne peut s’embrasser du regard. Et rien ne se dissipe, ce nouveau corps reste. Étranger à lui-même autant qu’à ses proches, le voyageur de commerce en sursis, ce travailleur qui a raté son train, est proprement aliéné. La métamorphose est donc initiale, elle a eu lieu. De l’homme à la bestiole, la vermine, ce dont il faudrait se débarrasser. D’ailleurs Gregor est rapidement incarcéré dans sa chambre dont il ne sortira quasi plus, il est exclu du « cercle de l’espèce humaine » – la famille s’en charge. Merveille de littéralité, le récit se déploie alors de façon aussi réaliste que ses prémisses étaient fantastiques. L’air de rien. L’enchaînement est inéluctable. Et un humour monstrueux se niche dans la précision même de cette mécanique, à chaque détail ajouté, à chaque incise. D’ailleurs est-il vraiment un parasite, une vermine ? S’en rend-il réellement compte lui-même ou est-ce le fondé de pouvoir puis le père et toute la famille qui l’ont décrété ? Kafka écrit dans son journal le 06 décembre 1921 : « Les métaphores sont l’une des choses qui me font désespérer de la littérature ». Cette ironie de l’auteur permet de se libérer de la seule lecture allégorique et de considérer la métamorphose de Gregor Samsa comme une fiction. Une fiction où les mots peuvent tuer. Car ce qui tue Gregor n’est pas la blessure causée par la pomme que lui jette son père, mais bien les mots de sa propre soeur Grete, disant qu’il n’est plus ni le frère, ni le fils, ni même un homme.
Traduction Jean-Pierre Lefèbvre (Gallimard)
Adaptation Marion Stoufflet
Réalisation Christophe Hocké
Création pour France Culture Lecture musicale
Musique composée et interprétée par Syd matters en duo Guitare et clavier Jonathan Morali et Olivier Marguerit
Avec Micha Lescot
Assistant à la réalisation Pablo Valero
Equipe : Djaisan Taouss, Etienne Colin, Julie Garraud (sono)
Franz Kafka est un écrivain tchèque de langue
allemande (1883-1924). Fils d'une famille juive, il étudie le droit à
l'Université de Prague, ainsi que la germanistique et l'histoire de
l'art. Il est reçu docteur en droit en 1906.En 1902, Kafka fréquente les
cercles littéraires et y rencontre Hugo Bergmann, Oskar Pollak et Max
Brod qui devient l'un de ses plus proches amis. En 1909, il publie ses
premiers écrits dans le magazine Hyperion et commence la rédaction de son Journal.
Il travaille le jour en tant que juriste dans une compagnie d'assurance
pour gagner sa vie et écrit la nuit. C'est ainsi que peut paraître Le Verdict. En 1912, il rédige La Métamorphose qui est publiée trois ans après. C’est durant l’été 14 qu’il commence à écrire Le Procès
auquel il travaillera plusieurs années. Kafka entretient des relations
compliquées avec les femmes. Plusieurs fois fiancé, d’abord avec Felice
Bauer de 1912 à 1917, puis dès 1919, avec Julie Wohryzeck (il rédige la Lettre au père
suite à la rupture de ses fiançailles avec elle), il vit une relation
intense avec une journaliste et écrivain anarchiste tchèque, Milena
Jesenska avec qui il tient une correspondance très riche (Lettres à Milena). C’est lors d’un séjour à Berlin en 1923 qu'il rencontre Dora Diamant, qui l'accompagne jusqu'à sa mort.
Atteint de tuberculose depuis 1917, il décède en 1924 à 41 ans au
sanatorium de Kierling à Prague. Il laisse une œuvre vaste dont ses
grands romans Le Procès, Le Château et _L'Amériqu_e qui sont publiés à titre posthume grâce à son ami Max Brod contre la volonté de Kafka de détruire ses écrits.
Syd matters Lauréat du premier concours CQFD des Inrockuptibles, Syd matters sort son premier album en 2003, A Whisper and a Sigh. Depuis, le groupe a sorti trois albums et signé des bandes originales de longs métrages comme La Question humaine
de Nicolas Klotz. Syd matters mise sur le désir de dépouillement plutôt
que sur l’injonction à jouir. Se faisant, il signe « la possibilité
d’une île », comme dit l’écrivain, mais d’une île qui émet et se fait
entendre par l’entier archipel des cœurs mélancoliques et des chercheurs
de beauté. C’est ainsi que Syd matters s’ouvre à nos sens. En 2016, Syd
matters était déjà présent dans le jardin du Musée Calvet à Avignon
avec L’Enfer de Dante, lecture musicale réalisée par Alexandre Plank pour France Culture.
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