Le grand moment était venu. Le barrage roulant s'approchait des premières tranchées. Nous nous mîmes en marche... Ma main droite étreignait la crosse de mon pistolet et la main gauche une badine de bambou. Je portais encore, bien que j'eusse très chaud, ma longue capote et, comme le prescrivait le règlement, des gants. Quand nous avançâmes, une fureur guerrière s'empara de nous, comme si, de très loin, se déversait en nous la force de l'assaut. Elle arrivait avec tant de vigueur qu'un sentiment de bonheur, de sérénité me saisit.
L'immense volonté de destruction qui pesait sur ce champ de mort se concentrait dans les cerveaux, les plongeant dans une brume rouge. Sanglotant, balbutiant, nous nous lancions des phrases sans suite, et un spectateur non prévenu aurait peut-être imaginé que nous succombions sous l'excès de bonheur.
Sur les falaises de marbre fut publié en Allemagne juste avant le début de la guerre. Aussitôt il fut interprété comme une protestation contre l'hitlérisme, et seule la renommée de Jünger le préserva de poursuites. Ce serait cependant une erreur de considérer ce roman comme une oeuvre de circonstance. Jünger a écrit un des romans romantiques les plus étonnants non seulement de la littérature allemande, mais de toute la littérature mondiale. Un paysage intemporel face à la mer, des figures symboliques, une action qui montre la lutte entre le bien et le mal, la menace toujours présente de la barbarie. Ce combat permanent, Ernst Jünger l'a élevé au niveau du mythe, grâce à un langage d'une précision hallucinante où rêve et réalité se confondent.
Ernst Jünger (1895-1998) : Une vie une oeuvre
Diffusée sur France Culture tous les samedis de 17h à 18h, l'émission de Matthieu Garrigou-Lagrange intitulée "Une vie, une oeuvre", se consacrait le 15/02/2014 à dresser un portrait de l'écrivain allemand, Ernst Jünger. Par Matthieu Garrigou-Lagrange. Réalisation : Lionel Quantin.
Ernst Jünger semblait indestructible. Blessé sept fois, combattant en première ligne dans les tranchées allemandes durant quatre longues années, il a survécu à la plupart de ses contemporains, en vivant jusqu’à l’âge de 103 ans. Jusqu’à la fin de sa vie, il demeurera un personnage très controversé en Allemagne, où on lui reproche son idéologie d’extrême droite. Car il fut proche du parti Nazi jusqu’en 1933, date de l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Insaisissable, il refuse les avances de Goebbels qui veut en faire un député NSDAP. Dans le même temps, il rédige "Le Travailleur", un livre aux idées anti-démocratiques. Durant la guerre, il sera au courant du complot contre le Führer sans jamais dénoncer personne. Qui était donc Ernst Jünger ? Il se définissait comme anarque, c’est-à-dire en retrait. En exil intérieur.
Nationalité : Allemagne
Né(e) à : Heidelberg , le 29 mars 1895
Mort(e) à : Riedlingen , le 17 février 1998
Biographie :
Ernst Jünger est un essayiste et romancier allemand.
Il se porte volontaire quand Guillaume II ordonne la mobilisation en 1914. Il est victime de nombreuses blessures et reçoit la croix - pour le mérite - la plus haute distinction militaire allemande.
Il transmet son expérience de la guerre des tranchées, comme simple soldat d'abord, puis comme officier des Sturmtruppen, dans le livre Orages d'acier publié à compte d'auteur en 1920 dans lequel il décrit notamment les horreurs vécues, mais aussi la fascination que l'expérience du feu a exercée sur lui. Ce livre est aujourd'hui encore son livre le plus lu. André Gide écrit : « Le livre d'Ernst Jünger sur la guerre de 14, Orages d'acier, est incontestablement le plus beau livre de guerre que j'ai lu, d'une bonne foi, d'une honnêteté, d'une véracité parfaites »
Suivront la Guerre est notre mère (1922), le Feu et le sang (1926).
Il fait de ses réflexions sur le machinisme et la technique des ouvrages comme la Mobilisation générale (1931) ou le Travailleur (1932).
Pendant la Seconde guerre mondiale, officier dans la Wehrmacht, il participe à la campagne de France. Après son affectation à l’État-major du commandant militaire de Paris, il est démobilisé et rentre en Allemagne en 1944.
Ernst Jünger n'a pas participé au complot contre Hitler, mais il a été dans le secret de sa préparation. Il a marqué son opposition au nazisme dans des œuvres telles que : Sur les falaises de marbres (1939), la Paix (1945) et Héliopolis (1949). Il définit une conception de l'état qui sauvegarde les conquêtes de la technique moderne en même temps que la dignité de la personne humaine et poursuit une œuvre qui défend l'individu contre les oppressions (Traité du rebelle, 1951).
Il est connu pour sa passion pour l'entomologie et l'exprime dans Chasses subtiles (1967).
Sa publication d'un journal des années 1939 à 1948 puis de 1965 à 1996 fait de lui un témoin précieux de l'histoire du 20è siècle.
Ernst Jünger a reçu en 1977 l'Aigle d'or au festival au Livre de Nice.
En 1982, il reçoit le prix Goethe.
Il meurt à l'âge de 102 ans.
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