Dans les rues de Caire, Gohar, ex-philosophe devenu mendiant, sillonne avec nonchalance les ruelles de la ville et croise des figures pittoresques et exemplaires.
Dans ce petit peuple où un manchot, cul-de-jatte, subit les crises de jalousie de sa compagne, on rencontre aussi Yeghen, vendeur hachisch, laid et heureux et Set Amina, la mère maquerelle.
Il y a aussi Nour et Dine, un policier homosexuel, autoritaire, mais très vite saisi par le doute à mesure que progresse son enquête. Un meurtre a eu lieu, celui d'une jeune prostituée..
Mer d'orgueil : Albert Cossery
Le Caire à travers le roman d’Albert Cossery, "Mendiants et orgueilleux" (1955) qui mêle intrigue policière, satire anti-système et éloge de la paresse, où l'on suit la déambulation nonchalante dans les bas-fonds cairotes de Gohar, philosophe, ex-universitaire devenu mendiant.
Nous poursuivons notre voyage en Égypte, au Caire, plus précisément, avec le roman d’Albert Cossery,Mendiants et orgueilleux, paru en 1955 chez Julliard et disponible aujourd’hui aux éditions Joëlle Losfeld.
Influencé par Dostoïevski, Tolstoï, Gogol et Balzac, ami d’Albert Camus, de Lawrence Durrell et d’Henry Miller, n’écrivant jamais plus de quelques lignes par jour, Albert Cossery (1913-2008) est une figure singulière de la littérature francophone du XXe siècle. Né en 1913, dans une famille originaire de Damiette, dans l’Egypte profonde, il a fait ses études dans une école catholique française du Caire et commencé à écrire en français à l’âge de dix ans. Il s’installe à Paris après la Seconde Guerre mondiale, dans un hôtel de Saint-Germain des Prés, La Louisiane, où il vécut plus de 50 ans et où il est mort à 94 ans. Mais dans l’écriture, Albert Cossery n’a au fond jamais quitté l’Egypte : tous ses romans et ses nouvelles se passent dans son pays d’origine.
Le bruit des voix, la clarté des lampes à acétylène l'accueillirent comme un refuge bienfaisant. A cette heure de la nuit le café des Miroirs était plein d'une foule tapageuse qui occupait toutes les tables, déambulait en lente procession à travers la chaussée de terre battue. L'éternelle radio déversait un flot de musique orageuse amplifiée par les haut-parleurs, noyant dans une même confusion la magnificence des palabres, des cris et des rires.
Dans ce tumulte grandiose, des mendiants loqueteux, des ramasseurs de mégots, des marchants ambulants s'adonnaient à une forme d'activité plaisante, comme des saltimbanques dans une foire. Albert Cossery
Pour évoquer Mendiants et orgueilleux, Mathias Enard s'entretient avec Joëlle Losfeld et avec Robert Solé, journaliste et romancier, qui appartient lui aussi à ce monde de la francophonie égyptienne dont Albert Cossery était un des représentants les plus singuliers.
En mettant en scène le personnage de Gohar, cet universitaire qui choisit de devenir mendiant, et que l'on voit dès les premières pages du roman "tremper dans le jus de cadavre", Albert Cossery plonge son lecteur dans la misère, le dénuement, la mort qui forment le quotidien de la vie dans les bas-fonds du Caire, le tout dans une langue empreinte d'une ironie mordante.
On est souvent tenté d’associer Cossery à ses personnages. Certes, il y a des points communs. Lui-même a vécu solitaire, dans une forme de dénuement. En Egypte, il avait une double vie : un pied dans le Caire européen, cosmopolite, mais également un appartement près de la Citadelle, dans les quartiers populaires. Mais, enfin, il a surtout vécu à Saint-Germain des Prés la plus grande partie de sa vie ! Et pourtant il parle de personnages qui vivent dans les bas-fonds du Caire ! Il y a chez Cossery l’idée que le dénuement apporte une certaine liberté, et que les miséreux ne sont pas enfermés dans ce carcan, mais qu’ils sont libres et joyeux parce qu’ils n’ont rien à perdre. Cossery professait une paresse, une nonchalance, une forme d’oisiveté active qui est celle de l’observateur assidu. Il a passé toute sa vie à regarder, à observer, à laisser le temps s’écouler et à en jouir. C’était cela sa philosophie et son savoir-vivre.
Robert Solé
Influencé par Gogol et Dostoïevski, compagnon de route du Parti communiste à un moment de sa vie, auteur de fictions empreintes d'une satire sociale mordante, Albert Cossery n'est pourtant pas à proprement parler un écrivain politique, comme le souligne Robert Solé : "Cossery n’est pas un militant. Ses personnages professent une non-collaboration avec le système : "Je ne combats pas le système, je l’ignore, je me détourne et c’est comme cela que je le combats le mieux." Dans Mendiants et orgueilleux_, Gohar dit "_Si nous devenons tous mendiants, le système va s’effondrer."
Le seul livre réellement politique d'Albert Cossery est son recueil de nouvelles "Les hommes oubliés de Dieu", paru en 1941, dans lequel on retrouve la trace de son engagement aux côtés du Parti communiste. Mais ensuite, il va professer le détachement, le fait d’être hors système, de se détacher d’une réalité politique et de vivre autrement sa vie.
Joëlle Losfeld
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