lundi 20 septembre 2021

Livre - L'art de la joie - Goliarda Sapienza

 "L'Arte della gioia", ouvrage posthume, 1996. Traduction française "L'art de la joie", 2005.

Il était une fois une enfant, Modesta, née le 1er janvier 1900, dans un monde frustre et rapidement englouti... Non, L'Art de la joie résiste à toute présentation. Roman d'apprentissage, il foisonne d'une multitude de vies. Roman des sens et de la sensualité, il ressuscite les élans politiques qui ont crevé le XXe siècle. Ancré dans une Sicile à la fois sombre et solaire, il se tend vers l'horizon des mers et des grandes villes européennes...
"Pourquoi faut-il lire ce livre ? Parce qu'il est un hymne à la joie. A la joie la plus simple qui soit, celle qui émane de la conscience et de l'acceptation sereine de sa propre existence et de celle des autres, personnes et choses, sans lesquelles le bonheur serait absolument impossible. Le XXe siècle, époque de tragédies horribles et d'esprits brillantissimes, se révèle sous un angle différent et les événements qui le caractérisent - guerres et révolutions, sciences et techniques, art et philosophie - portent les stigmates d'une seule femme, Modesta, qui assume les espoirs et la volonté de toutes les autres." Luca Orsenigo, Corriere della sera.


Vie de Goliarda Sapienza

 Nous retraçons la vie intense de Goliarda Sapienza, originaire de Sicile, née en 1924 et morte en 1996, qui affirmait une singularité sans artifices, fière et tourmentée à la fois.

Goliarda Sapienza
Goliarda Sapienza Crédits : Archives Goliarda Sapienza - Angelo Pellegrino

Nathalie Castagné est romancière, poète, et traductrice de l'oeuvre de Goliarda Sapienza. C'est par l'intermédiaire de la traduction française que son pays d'origine a pu redécouvrir son oeuvre. Le succès posthume de Goliarda Sapienza ne l'empêche pas de tisser une relation puissante et singulière avec ses lecteurs. 

Elle grandit à Catane, en Sicile, où elle est née en 1924 dans une famille recomposée. Sa mère, Maria Giudice, était une militante socialiste assignée à résidence par le régime fasciste pendant vingt ans. La jeune Goliarda doit abandonner l'école assez vite, et reçoit son éducation dans les rues bariolées des quartiers populaires et chantants de sa ville natale. Elle part à Rome au début de la guerre pour se lancer dans une carrière de comédienne - comme on le lit dans Moi, Jean Gabin, elle s'identifiait petite à l'acteur français. Elle commence par jouer dans des pièces de Pirandello, puis fonde une compagnie de théâtre d'avant-garde avant de rencontrer le futur réalisateur Francesco Maselli, qui sera son mari pendant dix-huit ans. Elle est une actrice connue à l'époque, tourne pour Visconti avec qui elle entretient une liaison. Mais c'est l'écriture qui rythme ses journées, jusqu'à la fin de sa vie en 1996. Lorsque Goliarda Sapienza rencontre Angelo Maria Pellegrino, son second et dernier mari, elle est en train d'achever l'Art de la Joie. Il lui fait cadeau d'un carnet, qui la met sur la voie du journal et de l'autobiographie. 

Au-delà des troubles psychologiques dont souffre Goliarda Sapienza, se retrouve en elle une immense liberté, héritée des combats maternels dans l'Italie fasciste. En 1980, elle est emprisonnée à la prison pour femmes de Rome, Rebibbia, pour avoir volé des bijoux à une riche amie. Ce geste, volontaire et provocant, est qualifié de "dostoïevskien" par Elsa Morante. Toute sa vie, Goliarda Sapienza garde aussi en mémoire l'enfance sicilienne passée sur les pentes de l'Etna et à nager dans la mer. Angelo Maria Pellegrino, qui se confie dans un petit texte biographique, parle d'un tempérament résolument volcanique, mais aussi d'une manière de transcender la pauvreté et d'enchanter la vie, comme celle de ses lecteurs aujourd'hui. 

Pour aller plus loin : extrait du film Lettera aperta a un giornale della sera de Francesco Maselli (1970), qui retrace les débats politiques d'un groupe d'intellectuels engagé contre la guerre du Vietnam, mais tiraillé entre l'envie de se rendre sur place et la peur de quitter leur vie. Goliarda Sapienza y apparaît dans le rôle d'un personnage qui porte aussi son prénom.

Goliarda et l'art de la joie

 

L'Art de la joie, refusé par les maisons d'édition du vivant de son auteur, a été redécouvert en France et signe le talent d'écrivain de Goliarda Sapienza.

Goliarda Sapienza
Goliarda Sapienza Crédits : Photo by Fine Art Images/Heritage Images/Getty Images - Getty

Nous sommes avec Frédéric Martin, fondateur et directeur des éditions Le Tripode, pour retracer l'histoire singulière de la publication de l'Art de la joie de Goliarda Sapienza et parler de cette immense fresque qui met en scène des personnages mus par la vivacité de leurs désirs et qui fait le portrait d'une Sicile brûlante dans la première moitié du XXe siècle. 

Nous revenons avec lui sur l'histoire éditoriale sans précédent de l'Art de la joie, découverte en France par l'intermédiaire d'une éditrice allemande au début des années 2000, alors que Goliarda Sapienza est morte depuis quatre ans et que son texte a été refusé par de nombreuses maisons en Italie de son vivant - mais publié de façon très fragmentée chez Stampa Alternativa en 1994. 

Si le roman peut choquer par certains aspects - moraux, sexuels, religieux, surtout si l'on pense au contexte de l'Italie des années de plomb, il est avant tout le récit d'une formidable aventure qui captive son lecteur. Le personnage de Modesta est animée d'une force vitale qui la mène à connaître le monde sous tous ses aspects : l'amour y est vu à la fois comme un art et une puissance à laquelle on ne peut échapper, la politique et l'engagement antifasciste se vivent à domicile, les générations d'enfants se mêlent et aspirent à la liberté. L'Art de la joie est aussi un roman de la transgression et du dévoilement des tabous - inceste, assassinat, rapports ambigus avec la religion... L'écriture de Goliarda Sapienza est à la mesure de cette puissance de vie : elle mélange sicilien et dialectes, scènes théâtrales et flux de pensée. 

Après l'Art de la joie, Goliarda Sapienza retrouve la voie de l'écriture par l'intermédiaire du journal. Ses Carnets sont désormais publiés par les éditions du Tripode, et confirment son talent d'écrivain. On y découvre ses lectures, les personnages de l'Italie de l'après-guerre qu'elle fréquente : Morante, Moravia, Visconti; ses voyages, son expérience de la prison, et on retrouve la justesse et la sincérité de ton d'une femme qui a su faire une oeuvre à partir des "certitudes du doute" qui l'animent. 

Pour aller plus loin : Goliarda Sapienza interviewée par Enzo Biagi à la télévision, à propos de son séjour à la prison de Rebibbia. Elle parle de ses rencontres avec des personnes pleines de fantaisie, de chants et de désirs, dans un endroit qui est une sorte de theatrum mundi, un monde en miniature, un village.

 

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