Traduit du catalan par Bernard Lesfargues
Avec la collaboration de Pierre Verdaguer
« Sans travail, sans rien en vue, j'ai fini de vendre ce qui me restait mon lit de jeune fille, le matelas du lit aux colonnes, la montre de Quimet que je voulais donner à Antoni lorsqu'il serait grand. Tout le linge. Les coupes, les tasses, le buffet... Et quand il ne me restait rien en dehors de ces monnaies qui me semblaient sacrées, j'ai fait taire ma fierté et je suis allée chez mes anciens patrons. »
Une Catalane, femme du peuple, originaire du quartier de Gracia à Barcelone, raconte sa vie. Avec délicatesse et discrétion, Natàlia évoque son adolescence, le travail - elle est alors vendeuse dans une pâtisserie du quartier -, son mariage, les maternités, la mort de son mari, milicien dans l'armée républicaine, la guerre civile, la faim, le désespoir, son remariage...
Situé pendant la période de la guerre civile et des années noires qui suivirent la victoire de Franco, ce roman fait le récit émouvant d’une vie d’apparence banale. Il est considéré comme l’un des chefs-d’œuvre de la littérature catalane.
La Catalogne grâce à "La Place du Diamant" de Mercè Rodoreda (1908-1983), un roman d'amour situé à Barcelone pendant la guerre civile espagnole, porté par la voix de Natalia et qui décrit, à travers les yeux d'une jeune fille candide, la société catalane.
Nous terminons notre voyage autour de la Méditerranée, dernière escale aujourd’hui Barcelone et la Catalogne, à travers le roman de Mercè Rodoreda, La Place du diamant. Décédée en 1983, Mercè Rodoreda est une des grandes dames de la littérature en catalan, traduite dans le monde entier, mais aussi intensément lue et étudiée dans son pays natal. La Place du diamant, son roman le plus célèbre, est une chronique de la vie à Barcelone juste avant, et pendant la guerre civile espagnole. Il est tout entier porté par la voix singulière de Natalia, une jeune femme innocente et démunie qui parviendra à s'affirmer envers et contre tout, et à atteindre une forme d'émancipation.
Sans travail, sans rien en vue, j'ai fini de vendre ce qui me restait : mon lit de jeune fille, le matelas du lit aux colonnes, la montre de Quimet que je voulais donner à Antoni lorsqu'il serait grand. Tout le linge. Les coupes, les tasses, le buffet… Et quand il ne me restait rien en dehors de ces monnaies qui me semblaient sacrées, j'ai fait taire ma fierté et je suis allée chez mes anciens patrons. Mercè Rodoreda
Paru en 1962 à Barcelone, puis en français en 1971 dans une traduction de Bernard Lesfargues (avec la collaboration de Pierre Verdaguer), ce roman est aujourd’hui disponible dans la collection l’Imaginaire des éditions Gallimard. Pour en parler, Mathias Enard s'entretient avec Maria Bohigas, éditrice de Mercè Rodoreda à Barcelone et Mònica Guëll, professeur de langue et littérature catalane à la Sorbonne.
Monica Güell souligne le talent de Mercè Rodoreda pour décrire, par
touches précises, toute une galerie de personnages, les habitants les
plus humbles de Gracià comme les résidents du quartier huppé de Sant
Gervasi mais aussi les miliciens, l’épicier, le pharmacien, ou encore
Henriqueta, la vendeuse de marrons. Si l'écrivaine porte cette attention
fine aux particularités de la population de Barcelone dans les années
1930, La Place du diamant ne peut pas pour autant être qualifié de "roman social" pour Maria Bohigas.
Mercè Rodoreda a écrit ce roman depuis l'exil, depuis Paris ou Genève,
mais la plupart de ses romans se déroulent dans la capitale catalane, la
littérature a été pour l'écrivaine l’occasion de vivre dans sa ville,
et de la traiter "avec cet amour particulier que l’on porte aux absents extrêmement chers".
Je ne savais pas très bien pourquoi j’étais au monde.
Mercè Rodoreda
Monica Guëll rappelle que Mercè Rodoreda confiait souvent dans ses interviews que les personnages innocents avaient toute son estime, qu'elle les préférait même "à une Anna Karénine ou une Emma Bovary". L'écrivaine confiait également que dans sa jeunesse, elle éprouvait le sentiment de ne pas très bien savoir pourquoi "elle était au monde". C'est sans doute en ce sens que l'on peut, pour Monica Guëll, reconnaître une dimension autobiographique à La Place du Diamant, qui retrace l’itinéraire de Natalia, une jeune fille à la fois humble et innocente, et qui se sent un peu perdue.
Natalia, ou l'invention d'une voix
Si elle s’est inspirée d’un conte intitulé La chica tonta (Une fille stupide) pour commencer La Place du Diamant, Mercè Rodoreda défendra par la suite son personnage de Natalia "Colometa" en affirmant qu'elle n’est pas bête, mais que "c’est une reine." Maria Bohigas évoque l'enjeu du roman qui est pour Rodoreda d'inventer un langage afin de donner voix à des personnages qui ne sont pas armés, notamment par le langage : "L'enjeu de La Place du Diamant c’est comment une femme doit inventer son langage pour exprimer ce qu’elle éprouve, rendre compte de cette vie extrêmement vulnérable, une vie qui tremble, qui n’a pas un cours clair et majestueux. Il faut inventer un langage à la hauteur de ce défi, afin de rendre hommage à un personnage qui n’a pas reçu les armes de l’éducation pour s’affirmer. En cela, on peut rapprocher Rodoreda des derniers romans de Clarice Lispector."
- Textes lus par Peggy Martineau
- Prise de son : Bernard Laniel
- Musiques diffusées : Toti Soler, Epigrama, dans l’album Cançons (épigramme du poète Joan Salvat Papasseit) et Lluis Llach, Que tinguem sort
Bibliographie (en français)
- Mercè Rodoreda La Place du Diamant, traduit du catalan par Bernard Lesfargues avec la collaboration de Pierre Verdaguer, Gallimard, 1971
- Mercè Rodoreda Voyages et Fleurs (trad. Bernard Lesfargues) Illustrations de Gabrielle Cornuault, Fédérop/Librairie La Brèche, 2013
- Mercè Rodoreda Miroir brisé (trad. Bernard Lesfargues) Autrement, 2011
- Mercè Rodoreda Une baleine nommée Cristina et autres nouvelles (trad. Bernard Lesfargues), Trabucaire, 2003
- Mercè Rodoreda Elle m'a dit sorcière, nouvelles (trad. Bernard Lesfargues), La Brèche, 2001
- Mercè Rodoreda Tant et tant de guerre (trad. Bernard Lesfargues), Aralia, 1996
- Mercè Rodoreda La mort et le printemps (trad. Christine Maintenant et Claude Bleton), Actes Sud, 1995
- Mercè Rodoreda Comme de la soie (trad. Christine Maintenant et Claude Bleton), Actes Sud, 1991
- Mercè Rodoreda Aloma (trad. Bernard Lesfargues), Jacqueline Chambon, 1989
- Mercè Rodoreda Rue des Camélias (trad. Bernard Lesfargues), Chemin Vert, 1986
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire