L'homme se tient sur une brèche, dans l'intervalle entre le passé révolu
et l'avenir inconnaissable. Il ne peut s'y tenir que dans la mesure où
il pense, brisant ainsi, par sa résistance aux forces du passé infini et
du futur infini, le flux du temps indifférent.
Chaque génération nouvelle, chaque homme nouveau doit redécouvrir
laborieusement l'activité de pensée. Longtemps, pour ce faire, on put
recourir à la tradition. Or nous vivons, à l'âge moderne, l'usure de la
tradition, la crise de la culture.
Il ne s'agit pas de renouer le fil rompu de la tradition, ni d'inventer
quelque succédané ultra-moderne, mais de savoir s'exercer à penser pour
se mouvoir dans la brèche.
Hannah Arendt, à travers ces essais d'interprétation critique -
notamment de la tradition et des concepts modernes d'histoire,
d'autorité et de liberté, des rapports entre vérité et politique, de la
crise de l'éducation -, entend nous aider à savoir comment penser en
notre siècle.
Composé de huit essais conçus comme des "exercices de pensée politique",
cet ouvrage de la philosophe d'origine allemande Hannah Arendt tire son
unité d'un seul et difficile projet : enquêter sur l'origine des grands
concepts de la philosophie politique. Le troisième essai, consacré à la
notion d'autorité, constitue une analyse particulièrement éclairante de
la modernité, définie comme oubli des origines. En effet, l'autorité
traditionnelle se définissait par opposition à la fois à la contrainte
par force et à la persuasion par arguments. Elle n'était pas
l'autoritarisme car "là où la force est employée, l'autorité proprement
dite a échoué". Elle n'avait pas non plus besoin de se justifier. Dès
lors, si nous confondons aujourd'hui autorité et violence, et croyons
que l'autorité peut être discutée, c'est que nous avons oublié ce
qu'elle est. Remontant jusqu'à la source de ce concept et de tant
d'autres (liberté, histoire...), Arendt tente de nous délivrer d'une
amnésie préjudiciable à la compréhension de notre propre monde. Un
périple généalogique qui suppose tout de même quelques bagages assez
solides !
Hannah Arendt (1906-1975), un monde en partage : Une vie, une œuvre [1984 / France Culture]
Hannah Arendt 1906-1975, née Johanna Arendt, est une philosophe allemande naturalisée américaine, connue pour ses travaux sur l’activité politique, le totalitarisme et la modernité.
Fille unique d'une famille aisée de juifs allemands, Hannah Arendt fait ses études à l'université de Marbourg. Elle est l'élève de Heidegger, avec qui elle noue une courte liaison, ainsi qu'une vaste correspondance qui durera jusqu'à la mort de celui-ci.
Elle ne se désignait pas elle-même comme "philosophe", mais plutôt d'après sa profession : professeur de théorie politique. Son refus de la philosophie est notamment évoqué dans "Condition de l'homme moderne" où elle considère que « la majeure partie de la philosophie politique depuis Platon s'interpréterait aisément comme une série d'essais en vue de découvrir les fondements théoriques et les moyens pratiques d'une évasion définitive de la politique. »
Ses ouvrages sur le phénomène totalitaire sont étudiés dans le monde entier et sa pensée politique et philosophique occupe une place importante dans la réflexion contemporaine. Ses livres les plus célèbres sont "Les Origines du totalitarisme" (1951), "Condition de l'homme moderne" (1958) et "La Crise de la culture" (1961). Son livre "Eichmann à Jérusalem", publié à la suite du procès d'Adolf Eichmann en 1961, a suscité des controverses.
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