Anne Cheng : « Cela ferait énormément de bien à la Chine de ne plus être cet “empire du Milieu”… »
La sinologue, professeure au Collège de France, travaille depuis quarante ans à faire connaître les trésors intellectuels de la Chine. Mais toujours avec la volonté de contrer la propagande du régime. Elle dirige un ouvrage collectif, « Penser en Chine ».
Chine : comment penser un pays sans mot et sans image ?
Que se passe-t-il en Chine ? Les publications se multiplient à foison
sur la dictature du Parti communiste, ses ambitions, sa volonté de
contrôler la pensée et d'exercer la plus sourcilleuse des censures. Mais
que se pense-t-il en Chine ? L'originalité profonde de cet ouvrage
collectif, qui rassemble les meilleurs spécialistes des différentes
questions traitées, est de présenter au lecteur occidental les débats,
enjeux, directives et chemins de traverse qui constituent la vie
intellectuelle et politique.
Quatre parties permettent de découvrir au plus près la circulation des
idées, officielles comme alternatives, dans leur volonté de penser et
dire autrement. Projections de la Chine-monde : le débat essentiel est
celui qui se conduit sur la différence de nature entre la philosophie
chinoise et les valeurs universelles, et qui est au fondement du
fantasme d'un Empire-monde et de la propagande du parti à travers la
multiplication dans le monde des Instituts Confucius.
Récit national et réécritures de l'histoire : face au grand récit unique
que le Parti veut imposer, nombre d'historiens soulignent la pluralité
d'approches, la difficile application à l'histoire de la Chine des
grandes étapes historiques imaginées par Marx et Engels, sachant que des
contre-récits au discours officiel sont portés par le cinéma. Modes de
contrôle de la société civile : la vie intellectuelle se déploie sur
fond des rapports de force entre le Parti et la société civile.
Elle passe depuis 1989 par l'essor d'intellectuels non- institutionnels, de groupes plus ou moins formels de parole où chacun dit la réalité de sa vie, loin des récits officiels ; mais aussi par le système du crédit social, plus complexe que la simple vidéo-surveillance des populations, et la vitalité d'une religion bouddhiste qui doit à chaque instant négocier sa place et son rôle avec le Parti. Points de tensions : la réalité résiste à son enfermement dans les grilles de la pensée officielle : le socialisme aux caractéristiques chinoises est ni plus ni moins qu'un capitalisme d'Etat ; l'intégration harmonieuse des peuples a le visage du génocide des Musulmans au Xinjiang, "nouvelle frontière" de la purification nationale ; les conflits de l'eau au Tibet font rage au détriment de la population ethnique locale.
Enfin, l'image que la Chine entend donner d'elle est fortement fissurée par les crises sanitaires et environnementales, dont la dernière en date sévit encore partout dans le monde.
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