Anna, soror... fut écrit en quelques semaines du printemps 1925, au cours d'un séjour à Naples et immédiatement au retour de celui-ci [...] Jamais invention romanesque ne fut plus immédiatement inspirée par les lieux où on la plaçait.
J'ai goûté pour la première fois avec Anna, soror... le suprême privilège du romancier, celui de se perdre tout entier dans ses personnages, ou de se laisser posséder par eux. Durant ces quelques semaines, et tout en continuant à faire les gestes et à assumer les rapports habituels de l'existence, j'ai vécu sans cesse à l'intérieur de ces deux corps et de ces deux âmes, me glissant d'Anna en Miguel et de Miguel en Anna, avec cette indifférence au sexe qui est, je crois, celle de tous les créateurs en présence de leurs créatures.
Quel écrivain que Marguerite Yourcenar !... Sa place n'était pas à l'Académie !
Nous sommes au royaume de Sicile vers 1580. L'Espagne
occupe la région ainsi que la Calabre. on Alvaro, marquis de la Cerna,
est gouverneur du Fort Saint-Elme. On y enferme les opposants aux
espagnols ou les prisonniers de la Sainte Inquisition qui a été
installée dans les territoires occupés.
don Alvaro est marié avec Agnès de Montefeltro, une très belle femme,
dont il a une fille, Anna et un fils don Miguel. Son épouse est bien
plus jeune que lui, mais il la délaisse préférant les rapports charnels
avec des moresques des établissements du port. Valentine n’en a cure et
s'adonne à la religion, mais sans excès. « Valentine acquit jeune la
gravité et le calme de ceux qui n’aspirent pas même au bonheur. »
Anna et don Miguel s'aiment d’un amour qui nous semble bien vite
dépasser celui d’un frère pour une sœur et vice versa. Avant de mourir
leur mère leur dira « .quoi qu’il arrive, n'en arrivez jamais à vous
haïr. » Elle meurt et laisse ses enfants avec leur père qui ne s'en
occupe absolument pas. Il est bien trop occupé par son ambition ou par
ses crises de mysticisme et de pénitence après ses excès de la chair.
Nous sommes dans un milieu espagnol et le poids de la religion y est
encore bien plus lourd qu’ailleurs !. Les deux enfants restent donc
seuls avec leur chagrin… Quel sera leur avenir ?.
Surtout, ne ratez pas la postface de vingt six pages écrites par
Marguerite Yourcenar en 1981. Elle nous explique superbement cette
œuvre, son climat, son objectif. Elle nous dit l’avoir écrite comme une
partie d’un roman qui devait se composer de trois parties. Celles-ci,
nous dit-elle, contenaient la substance d'une grande partie de toute son
oeuvre. L'une d'elles donnera naissance à « Un homme obscur » et une
autre à une partie de « L’oeuvre au noir ».
En 1935, elle réécrira « Anna Soror » dans un but d’en améliorer le
style qu'elle tenta de rendre plus strict et plus concis. Il sera publié
ainsi cette année là. En 1981, elle l'écrira à nouveau et supprimera la
plus grande partie des modifications de 1935, estimant que son texte
d’origine y avait perdu beaucoup de son âme.
Il est aussi très intéressant de la voir comparer le sujet de ce livre
avec des oeuvres du dramaturge élisabéthain John Ford, de Byron, de
Goethe, de Montesquieu, de Chateaubriand, de Martin du Gard et de Thomas
Mann ayant le même thème.
Elle nous dit aussi : « Si j'insiste sur ce que ces pages ont pourtant
d'inchangé, c'est que j'y vois, parmi d'autres évidences qui peu à peu
se sont imposées à moi, une preuve de plus de la relativité du temps. Je
me sens tout autant de plain-pied avec ce récit que si l’idée de
l’écrire m'était venue ce matin. »
Une dernière citation que je trouve particulièrement belle et vraie : «
Les constructions inachevées, dont l'aspect, comme pour décourager le
maître d'œuvre, imite par avance la ruine qu'elles seront un jour, lui
rappelaient que tout bâtisseur, à la longue, n’édifie qu’un
effondrement. »
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