Aucune volupté ne surpasse celle qu'on éprouve
à l'idée qu'on aurait pu se maintenir dans un état de pure possibilité.
Liberté, bonheur, espace - ces termes définissent la condition
antérieure à la malchance de naître. La mort est un fléau quelconque ;
le vrai fléau n'est pas devant nous mais derrière. Nous avons tout perdu
en naissant.
Mieux encore que dans le malaise et l'accablement, c'est dans des
instants d'une insoutenable plénitude que nous comprenons la catastrophe
de la naissance. Nos pensées se reportent alors vers ce monde où rien
ne daignait s'actualiser, affecter une forme, choir dans un nom, et, où,
toute détermination abolie, il était aisé d'accéder à une extase
anonyme.
Nous retrouvons cette expérience extatique lorsque, à la faveur de
quelque état extrême, nous liquidons notre identité et brisons nos
limites. Du coup, le temps qui nous précède, le temps d'avant le temps,
nous appartient en propre, et nous rejoignons, non pas notre figure, qui
n'est rien, mais cette virtualité bienheureuse où nous résistions à
l'infâme tentation de nous incarner.
Une Vie, une œuvre : Emil Cioran, ou les nuits suspendues (1911-1995)
Emil Cioran 1911-1995 est un philosophe et écrivain roumain, d'expression roumaine initialement, puis française à partir de 1949.
Il fait des études de philosophie à l’Université de Bucarest dès l’âge
de 17 ans. Ses premiers travaux concernent Kant, Schopenhauer et,
particulièrement, Nietzsche. Il obtient sa licence en 1932, après avoir
terminé une thèse sur Bergson, dont Cioran rejette plus tard la
philosophie, qu'il juge n’avoir pas compris la tragédie de la vie. En
1933, il va à l'Université de Berlin.
À 22 ans, il publie "Sur les cimes du désespoir", son premier ouvrage,
avec lequel il inscrit, malgré son jeune âge, son nom au panthéon des
grands écrivains roumains. Après deux années de formation à Berlin, il
rentre en Roumanie, où il devient professeur de philosophie au lycée
Andrei Şaguna de Braşov pendant l'année scolaire 1936-1937. Dans son
pays d'origine, Cioran côtoie brièvement, en compagnie de Mircea Eliade,
des membres du mouvement fasciste et antisémite de la Garde de fer. En
1936, Cioran publie "La Transfiguration de la Roumanie" où il développe
une pensée passablement xénophobe et antisémite. Bien plus tard, Cioran
biffe les passages les plus antisémites pour l'édition française.
En 1937, son troisième ouvrage, "Des larmes et des saints", fait
scandale dans son pays. Cioran s'installe alors à Paris pendant
l'occupation, grâce à une bourse, afin d'y terminer sa thèse sur le
philosophe Bergson. Il abandonne alors toute idéologie pour se consacrer
à l'écriture. Les communistes qui ont pris le pouvoir en Roumanie après
la Seconde Guerre mondiale ayant interdit ses livres, il reste à Paris
jusqu'à la fin de son existence, vivant assez pauvrement, rédigeant
dorénavant ses ouvrages en français, tout en traduisant par ailleurs les
poèmes de Stéphane Mallarmé en roumain.
Cioran refuse tous les prix littéraires (Sainte-Beuve, Combat, Nimier,
Morand, etc.) à l'exception du prix Rivarol en 1949, acceptation qu'il
justifie par un besoin financier.
En 1973, Cioran publie son œuvre la plus marquante : "De l'inconvénient
d'être né", et en 1987, son ultime ouvrage, "Aveux et anathèmes".
Il a parfois signé sous le nom de "E. M. Cioran" pour le nom de plume "Emil Michel Cioran".
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