Mahomet supprimé d'une traduction de L'Enfer de Dante, pour ne pas "blesser"
Mahomet a disparu. Le prophète de l’islam a été littéralement éradiqué de la nouvelle traduction produite par un éditeur néerlandais, au prétexte qu’il « ne voulait pas blesser inutilement » les lecteurs avec cette version de La Divine Comédie de Dante. En ce 25 mars, consacré en Italie comme le Dantedì — la journée dédiée à Dante — l’information fait frémir.
Faut-il prendre les lecteurs pour des imbéciles ? Qu’en cette année de commémoration des 700 ans de la mort de Dante Alighieri, un éditeur se sente obligé de supprimer un élément d’une œuvre mondialement connue pose question. La version de L’Enfer, premier volet du triptyque de La Divine Comédie a ainsi été retraduite par Blossom Books, éditeur néerlandais. Et il a été demandé que l’on retire la mention de Mohamet, prophète musulman, pour « éviter que le livre soit inutilement blessant », rapporte De Standaard.
C’est à l’occasion d’une interview de la traductrice, Lies Lavrijsen sur une radio belge que l’information a été divulguée : les occurrences du texte italien où figurait la mention de Mahomet ont été supprimées. Pourtant, les papes, Judas, les meurtriers de César, ou les homosexuels tant décriés par l’Église catholique n’ont pas été exclus.
Un véritable scandale démarre qui contraint l’éditeur, Myrthe Spiteri, à une déclaration pour expliquer son cas. « L’anonymisation du prophète Mahomet n’a nui en rien : [la traductrice] a fait en sorte que l’histoire ne puisse pas être inutilement offensante pour un lectorat qui représente une si grande partie de la société néerlandaise et flamande. Le fait que les passages ne soient pas nécessaires pour comprendre le texte littéraire nous en a convaincus. »
Splendide. Et d’ajouter que Dante fait subir à Mahomet un sort « grossier et humiliant, simplement parce qu’il est le précurseur de l’islam ».
Dans la traduction de Félicité Robert de Lamennais (1910), voici ce que l’on peut lire au Chant XXVIII :
Tandis que sur lui je tenais mes yeux fixés, il me regarda, et avec la main s’ouvrit la poitrine, disant : « Vois comme je me déchire. Vois comme dépecé est Mahomet : devant moi Ali va pleurant, le visage fendu du menton jusqu’à la chevelure. Tous ceux qu’ici tu vois furent, de leur vivant, des semeurs de scandales et de schismes ; et pour cela sont-ils fendus de la sorte. Là, derrière, est un diable qui cruellement ainsi nous schismatise, remettant chacun de nous au tranchant de l’épée, les blessures se refermant lorsque nous avons parcouru le triste circuit, avant que nous revenions devant lui. Mais qui es-tu, toi qui là-haut t’arrêtes sur la roche, peut-être pour retarder le supplice auquel le jugement prononcé sur toi te condamne d’aller ?
Et l’éditeur de poursuivre : « Les voleurs ou les meurtriers de l’Enfer de Dante ont commis de véritables fautes, alors que l’établissement d’une religion ne peut être répréhensible. Dante met également les homosexuels en enfer, mais c’est parce que le christianisme les considérait comme pêcheurs, jusqu’à aujourd’hui. Et Dante écrit très respectueusement à leur égard. »
On s’interrogera longuement sur les connaissances de la maison d’édition et leur compréhension de l’influence exercée par le monde islamique dans l’œuvre de Dante, d’une part. Et d’autre part, sur la capacité à censurer un texte, sous le plus incroyable prétexte, parce qu’il est dans le domaine public, et que tout un chacun peut en faire n’importe quoi. Ou presque : la preuve.
Derrière la préoccupation louable de rendre les classiques accessibles, se découvre en réalité une action menée par l’éditeur, sans que rien ne lui ait été demandé de pareil. Le climat actuel serait-il devenu si tranché et tranchant, qu’il faille introduire des précautions aussi délirantes que celle de caviarder un classique ? La cancel culture n'a plus besoin de porte-parole, elle est mise en application avant même qu'on la sollicite.
Après tout, certaines œuvres comme Les aventures de Huckleberry Finn ont été révisées pour supprimer la présence du terme nigger. Sollicités par ActuaLitté, ni Dante ni Mahomet n’étaient disponibles pour commenter… Mark Twain non plus.
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