« Habiter en oiseau » : le volatile, miroir de nos obsessions
Tiré du journal le Monde
Le livre. « Il s’est d’abord agi d’un merle. La fenêtre de ma chambre était restée ouverte pour la première fois depuis des mois, comme un signe de victoire sur l’hiver. Son chant m’a réveillé à l’aube. Il chantait de tout son cœur, de toutes ses forces, de tout son talent de merle. » Tel est l’incipit de l’essai de la philosophe Vinciane Despret, Habiter en oiseau. Avec minutie et subtilité, elle explore l’enchevêtrement des nombreuses théories élaborées par les scientifiques depuis le début du XXe siècle pour tenter d’élucider cette question simple : pourquoi le merle, comme les autres oiseaux, a-t-il besoin d’un territoire où il peut chanter, s’accoupler, parader, se nourrir ou nidifier ? Sans oublier la trame sur laquelle ces théories sont tissées, car les scientifiques sont aussi fils de leur temps.
Stratégies territoriales
Elle commence ainsi par questionner l’emploi du terme « territoire », qu’elle relie à l’apparition au XVIIe siècle du droit de propriété individuel pour décrypter les contextes comme autant de terreaux sur lesquelles les théories prolifèrent ou s’éteignent. « L’hypothèse de l’amour de la solitude du rouge-gorge, on s’en doute, n’obtiendra pas le sésame qui permet de figurer dans les écrits scientifiques », s’amuse-t-elle. A l’inverse, celles qui attribuent au territoire la fonction de compétition entre mâles ou d’accès à la nourriture ont gagné en popularité tout comme celles qui dans les années 1960, s’inspirèrent des modèles économiques, pour évaluer les rapports entre les coûts et les bénéfices des stratégies territoriales. « On a trouvé un convertisseur universel, on va enfin pouvoir unifier théoriquement les territoires », dénonce-t-elle.
Vinciane Despret : Ce que les oiseaux nous apprennent des territoires
Ce que les oiseaux nous apprennent des territoires. Démonstration scientifique et philosophique. Vinciane Despret est philosophe, psychologue et maître de conférences à l’université de Liège. Elle travaille principalement, depuis une vingtaine d’années, sur les savoirs à propos des animaux, domaine dans lequel elle a publié quelques livres dont Naissance d’une théorie éthologique, Quand le loup habitera avec l’agneau, Hans le cheval qui savait compter, Que diraient les animaux si on leur posait les bonnes questions ? et, le tout dernier, Habiter en oiseau (Actes Sud, octobre 2019). Le fil rouge qui conduit ses enquêtes est la question des bons dispositifs de recherches : comment arrive-t-on (ou non) à rendre les êtres intéressants ?
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