« Suzanna Andler » : Charlotte Gainsbourg dans la lignée des grandes interprètes durassiennes
Benoît Jacquot adapte à l’écran une pièce restée méconnue de Marguerite Duras, qui met en scène un trio de personnages évanescents.
Ce manteau ! Il semble venir du vestiaire de Proust qui s’emmitouflait de pelisses en toute saison ou d’un fond de stock d’un fourreur oublié. Castor ? Ragondin ? Peau de lapin ? Ce manteau est une énigme. Il n’appartient pas vraiment ni à l’époque, les années 1960, où se déroule la non-action du nouveau film envoûtant de Benoît Jacquot, adapté fidèlement d’une pièce méconnue et peu jouée de Marguerite Duras ; ni à la saison, une fin d’hiver qui semble plutôt douce, temps couvert, mais avec éclaircies, sur la Méditerranée.
C’est pourtant revêtue de cette houppelande que Suzanna (Charlotte Gainsbourg) se présente à nous. Dessous, elle porte une robe ultra-courte de chez Saint Laurent, de hautes bottes et les cheveux courts. La pelisse et la robe semblent se contredire. Suzanna aussi est une énigme. Amoureuse ou pas ? De son mari, de son amant ? Indécise, hésitante, flottante.
Elle est descendue pour quelques jours, un week-end peut-être (chez Duras, le temps est flou) sur la Côte d’Azur pour rejoindre son amant, Michel (Niels Schneider). Ce dernier emprunte son look (jean blanc, col roulé, manteau noir et boots) au photographe de Blow-up (1966), de Michelangelo Antonioni. Du coup, il semble plus contemporain. C’est la première fois que Suzanna a un amant. De son côté, son mari, Jean, la trompe régulièrement dans des hôtels de luxe quelque part à Chantilly ou sur la côte normande. Elle ne paraît pas vraiment en souffrir – à moins qu’elle ne le cache. Elle doit se décider : Michel ou Jean ?
Elle doit également choisir la maison dans laquelle elle passera ses vacances en famille. Celle-ci n’est-elle pas trop grande ? Trop chère ? Les pièces, même si on n’en voit que le salon meublé minimalement d’un canapé et d’une chaise, paraissent immenses. La terrasse, grande comme un terrain de basket, surplombe la mer.
Personnages à peine esquissés
Suzanna, Michel et Jean n’ont pas d’existence sociale. Que font-ils ? De quoi vivent-ils ? Où habitent-ils ? Duras ne s’intéresse pas à ces détails. Ce trio n’existe que par les sentiments qui les animent ou qui les fuient. L’amour avec Jean s’est envolé. Michel paraît libre, plus disponible. Un remède contre l’ennui, le temps ? Ils passent leurs nuits à boire dans une chambre de palace. On imagine l’Hôtel de Paris, à Monte-Carlo. Ils boivent du vin, sans précision ni de cru ni de millésime – et ça aussi c’est nouveau pour Suzanna – comme des pochards, comme Marguerite Duras elle-même qui carburait au corbières – 14 degrés quand même.
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