vendredi 3 septembre 2021

Humour - Salam Beau à Marseille !!!!

 

 L’occasion de revenir sur les liens ambigus qu’entretenait le célèbre écrivain avec les arts visuels.

George-Antoine Rochegrosse, Salammbô

George-Antoine Rochegrosse, Salammbô, 1886

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Pour l’auteur de Madame Bovary, le réel est synonyme d’ennui. Et l’artiste est celui qui ne s’en contente pas ! Amoureux du Parthénon et de la Renaissance italienne, Flaubert s’est, par deux fois, directement inspiré d’une œuvre d’art : d’un tableau de Brueghel le Jeune (XVIe siècle) pour son poème en prose La Tentation de saint Antoine (1874), et du vitrail de Saint Julien l’Hospitalier (XIIIe siècle) situé dans la cathédrale de Rouen, pour l’un de ses Trois Contes (1877).

Difficile d’imaginer que les odalisques, cavaliers et paysages de la peinture orientaliste, très en vogue à l’époque, n’aient pas contribué à nourrir l’atmosphère de son roman Salammbô (1862) et de son conte Hérodias (1877). Alexandre-Gabriel Decamps, pionnier du genre, auteur de tableaux comme La Caravane (vers 1854) et son cortège de dromadaires baigné d’une lumière mordorée, plaisait à Flaubert. Tout comme Eugène Delacroix, dont la féroce Mort de Sardanapale (1827) [ill. ci-dessous], chargée de luxe, de violence et de sensualité, rejoint l’esprit de Salammbô. Batailles sanglantes, éléphants incendiés, scènes sensuelles et visions mystiques rythment en effet cette histoire d’amour brûlante et tragique entre Salammbô, prêtresse de Carthage, et le Libyen Mâtho, chef des mercenaires révoltés contre la ville. Située au IIIe siècle avant notre ère, l’intrigue a pour toile de fond un véritable épisode historique : la terrible guerre ayant opposé cette cité phénicienne aux mercenaires barbares qui venaient de la défendre contre Rome…

Eugène Delacroix, La Mort de Sardanapale

Eugène Delacroix, La Mort de Sardanapale, 1827

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L’irréelle et sulfureuse Salammbô a sans doute inspiré à Gustave Moreau la Salomé de sa célèbre Apparition (1876). Une peinture envoûtante à laquelle Flaubert a, en retour, probablement pensé pour l’évocation de la tête tranchée de Iokanaan dans Hérodias (1877) ! « Les paupières closes étaient blêmes comme des coquilles ; et des candélabres alentour envoyaient des rayons » écrit-il. Dans le même recueil, sa description de la montée aux cieux de saint Julien, dont les cheveux s’allongent « comme les rais du soleil », semble elle aussi très proche de la fameuse toile symboliste…

Gustave Moreau, L’Apparition

Gustave Moreau, L’Apparition, vers 1875

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Mais contrairement à beaucoup d’écrivains de son époque, Flaubert ne cherche pas à imiter la peinture, qui ne l’influence que de manière diffuse. Pour lui, l’écriture est supérieure. Elle seule peut conserver toute la richesse de la magie et du mystère, donner corps au fantasme sans en livrer une image trop figée, trop nette… et donc décevante. Au dessin et à la peinture, l’écrivain préfère le pouvoir évocateur et polysémique des mots, leur capacité à faire naître mille rêves mouvants, différents et multiples dans l’esprit de chaque lecteur. C’est ainsi que Salammbô parvient à donner vie à l’insaisissable Carthage, dont il ne reste que des ruines illisibles au moment où Flaubert se lance dans son projet. Pour donner corps à ce « mirage », l’écrivain contacte un archéologue, lit des textes antiques, se rend en Tunisie. Mais ses descriptions, malgré des indications de couleurs, de formes et de lumière, restent très sobres et floues : de la pure suggestion poétique !

« Jamais, moi vivant, on ne m’illustrera », tonne-t-il dans une lettre en 1862. « Ce n’était guère la peine d’employer tant d’art à laisser tout dans le vague, pour qu’un pignouf vienne démolir mon rêve par sa précision inepte. » Mais ce refus ne sera pas respecté. Salammbô rencontre un tel succès qu’éditions illustrées, sculptures et tableaux déferlent dès la mort de l’auteur en 1880. En cette époque friande de femmes fatales et de contrées lointaines, l’orientaliste Georges-Antoine Rochegrosse, le voyageur Antoine Druet (élève de Jean-Léon Gérôme), le symboliste Gaston Bussière ou encore Victor Prouvé, figure de l’Art nouveau, se passionnent pour le personnage de la prêtresse qu’ils représentent avec ses bijoux précieux et sa lyre d’ébène, entourée de brumes d’encens et de mosaïques rutilantes.

Victor Prouvé, L’étreinte avec le serpent

Victor Prouvé, L’étreinte avec le serpent, 1893

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« Ce n’était guère la peine d’employer tant d’art à laisser tout dans le vague, pour qu’un pignouf vienne démolir mon rêve par sa précision inepte. »

Gustave Flaubert

Nombreux sont les artistes à s’emparer de la fameuse scène, très érotique, du rituel au serpent. Le symboliste allemand Franz von Stuck en tire pas moins de onze tableaux démoniaques en clair-obscur (1891–1913) dépeignant le python enroulé autour du corps nu de la séductrice ! Son compatriote Carl Strathmann, lui, en livre une interprétation décorative avec une toile incrustée de pierres artificielles où la prêtresse, couchée sur un lit de fleurs, évoque une Belle au bois dormant que le reptile s’apprête à réveiller…

C’est un sujet tiré de Salammbô – le jeune Hannibal maîtrisant un aigle à mains nues – que choisit le sculpteur Antoine Bourdelle pour ses débuts au Salon en 1885. Et c’est avec une sculpture raffinée en ivoire, or, bronze et turquoise, représentant la déclaration enflammée du mercenaire à Salammbô, que le sculpteur orientaliste Théodore Rivière rencontre son plus grand succès en 1895. Marie Rochegrosse, épouse du peintre du même nom, réalise même son propre « voile de Tanit » : une cape brodée d’or, de pierreries, de perles et de plumes aux motifs inspirés des créatures sacrées de Babylone. Superbe, mais loin du « nuage » diaphane décrit par Flaubert…

À gauche : Rose Caron d’après une peinture de Léon Bonnat. À droite : Affiche pour « The Love of Salammbô » de Serge Grieco

À gauche : Rose Caron d’après une peinture de Léon Bonnat. À droite : Affiche pour « The Love of Salammbô » de Serge Grieco

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En 1890, Salammbô devient un opéra aux décors et costumes somptueux composé par Ernest Reyer. Avec dans le rôle-titre une Rose Caron couronnée de pivoines, de fil d’or et d’émeraudes factices, le spectacle est un triomphe pour lequel Alfons Mucha dessinera une magnifique affiche en 1896, et dont le succès perdurera jusqu’à la Seconde Guerre mondiale !

Quinze ans après la mort de Flaubert, le cinéma est inventé. En 1907 et 1911, deux films s’emparent déjà du roman, suivis de plusieurs autres, dont un de Bernard Marodon (1924) comptant 10 000 figurants et un péplum de Sergio Grieco (1960) qui accumule les clichés et remplace la fin par un happy-end hollywoodien. Restituant le vertige décadent de Carthage grâce à une profusion de détails griffonnés avec une précision d’orfèvre, Philippe Druillet (couronné du Grand Prix d’Angoulême) ose même en tirer une bande dessinée intergalactique en 1980, dont dérivera un jeu vidéo en 2003 ! De quoi rendre fou l’écrivain. Mais n’est-ce pas la rançon de la gloire ?

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