"Nous sommes entrés dans l'âge de l'après-littérature. Le temps où la vision littéraire du monde avait une place dans le monde semble bel et bien révolu. Non que l'inspiration se soit subitement et définitivement tarie. De vrais livres continuent d'être écrits et imprimés, mais ils n'impriment pas. Ils n'ont plus de vertu formatrice. L'éducation des âmes n'est plus de leur ressort. Ils s'adressent à des lecteurs qui, avant même d'entrer dans la vie, refusent de s'en laisser conter et regardent l'Histoire et les histoires avec la souveraine intelligence que la victoire totale sur les préjugés leur confère.
Rançon de cette outrecuidance, le faux prend possession de la vie. Non seulement le présent règne sans partage mais il s'imagine autre qu'il n'est. A force de se raconter des histoires, il se perd complètement de vue. Les scénarios fantasmatiques qu'il produit en cascade lui tiennent lieu de littérature. Néoféminisme simplificateur, antiracisme délirant, oubli de la beauté par la technique triomphante comme par l'écologie officielle, déni de la contingence tout au long de la pandémie qui nous frappe : le mensonge s'installe, la laideur se répand, l'art est en train de perdre la bataille.
C'est un crève-coeur". Alain Finkielkraut
Alain Finkielkraut : littérature sous influence ou sans influence ?
Aurions-nous basculé dans une nouvelle ère artistique où l'éthique l'emporte sur l'esthétique ? Le philosophe et écrivain Alain Finkielkraut pose son diagnostic dans son essai "L'après littérature" (Stock, septembre 2021).
Avec L'après littérature c'est une vue d'ensemble sur l'art du XXème siècle que nous livre Alain Finkielkraut. Ses conclusions : le mot est remplacé par l'écran, la subtilité par l'émotivité, la complexité ambiguë du roman par la transparence inflexible d'un nouvel ordre moral.
Quand la vision littéraire s’éloigne, l’idéologie prend toute la place, et on en crève. (Alain Finkielkraut)
Ce "nouvel ordre moral", autrefois incarné par le politiquement correct et aujourd'hui par les wokes serait incompatible avec un art dont il ne comprend plus la nécessité :
"Ce dont souffre notre présent, c'est précisément de se suffire à lui-même. Il manque de manquer." (Alain Finkielkraut)
A la libération attendue de la littérature se substituerait alors, en ce début de XXIème siècle, une autre forme de morale :
Le communisme est derrière nous, mais d'autres idéologies ont pris le relais, qui nous empêchent d'y voir clair, qui nous empêchent de penser ... Nous assistons à une reglaciation de la vie littéraire. Le débat intellectuel par exemple, ne se place plus sous le modèle de la conversation, mais sous le modèle de la guerre. On préfère les disqualifications, on préfère les anathèmes. (Alain Finkielkraut)
Or la littérature, pour l'écrivain, est moins affaire de causes à défendre que de choses à comprendre :
La littérature fait œuvre de connaissance, elle est une invention, une découverte, elle élucide l’existence : c’est là son rôle majeur. Donc il ne s'agit pas d'écrire contre ou pour, il s'agit d'aider à voir clair, d’aider à comprendre. (Alain Finkielkraut)
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