lundi 21 juin 2021

Livre - Un homme de tempérament - David Lodge

 


"Le sexe pour [Wells] était idéalement une forme de récréation comme le tennis et le badminton, quelque chose que l'on faisait quand on était avec satisfaction venu à bout d'une tâche, pour se défouler et exercer un moment son corps plutôt que son esprit..."

Fervent défenseur de l'Amour libre, H.G. Wells a multiplié les aventures et mésaventures sexuelles qui lui ont compliqué sa vie privée et contrarié ses ambitions d'homme politique. Dans sa maison londonienne barricadée pendant le blitz de 1944, malade, il revient sur son existence peuplée d'incidents, de livres et de femmes.

De sa plume claire, légère et drôle, David Lodge nous fait découvrir toute une époque, celle de l'expansion du socialisme et des théories féministes mais aussi de la bombe atomique, et nous montre Wells tel qu'il est : l'un des écrivains les plus prophétiques du XXe siècle.

"Le meilleur livre de Lodge depuis des années : foisonnant, drôle, touchant. Une parfaite équation entre fiction et érudition." (Mail on Sunday) 

David Lodge : "Wells est un peu mon idéal, celui que j'aurais aimé être"


L'écrivain britannique David Lodge, traduit dans vingt langues, revient avec un très beau roman, Un homme de tempérament, dans lequel il met en scène la vie de H. G. Wells, un écrivain visionnaire. La maison d'édition Rivages ressort pour l'occasion sa Trilogie du campus, comprenant Jeux de société, Changement de décor et Un tout petit monde ; et sa pièce Pensées secrètes sera donnée à partir du 19 janvier à Paris au théâtre Montparnasse, avec Isabelle Carré et Samuel Labarthe. Nous avons rencontré cet auteur prolifique à Paris. Entretien.

Votre roman traite de la vie et de l'oeuvre de H. G. Wells. Quelle est la part de la fiction et de la réalité ?

Presque tout ce qui se passe dans le livre est soit inspiré de faits réels, de personnes réelles, de relations réelles, soit compatible avec ce que l'on sait de l'histoire de Wells, qui m'apparaît en lui-même comme un personnage de roman. Toutes les situations, les écrits, les discours reprennent les mots mêmes que l'on retrouve dans les livres écrits par ou sur lui. Ma liberté de romancier a été d'imaginer ce que ces personnages hauts en couleur ont pu penser ou ressentir, ou ce qu'ils se sont dit dans des scènes dont les biographies historiques ne nous ont rien livré, et pour cause.

Tous les personnages ont existé ?

Oui, c'est un roman fresque, les personnages secondaires, surtout les femmes, ont autant d'importance que Wells, qui est au centre du tableau comme une comète qui traverserait d'une guerre mondiale à l'autre le ciel de l'histoire, mais j'ai tenu à ce qu'aucun personnage ne puisse paraître comme secondaire.

Quel est le point de vue selon lequel est racontée l'histoire ?

Un récit classique à la troisième personne, entrecoupé de dialogues mettant en scène deux voix : Wells dialoguant avec lui-même comme s'il était un journaliste ou un critique. Ce qui correspond bien à son caractère : vouloir être tout et tout contrôler de son être. Il y a aussi des monologues intérieurs où j'ai repris ce qu'il a raconté de sa vie sexuelle quelques années avant sa mort dans un mémoire secret. J'ai aussi beaucoup utilisé sa correspondance. Puis j'ai tissé des fils qui s'y trouvaient et la trame est finalement la mienne.

Est-ce plus difficile d'écrire sur des personnages ayant existé ou sur ceux que vous avez inventés ?

C'est plus difficile, parce qu'il faut garder la confiance du lecteur, sa croyance que vous ne lui racontez pas des histoires quand vous lui racontez une histoire. Il veut qu'une lettre dans un roman soit vraie, datée. Mais, finalement, on se sent plus libre aussi, quitte à se dédouaner de ses inventions par une solide série de références à des ouvrages, comme je le fais en six pages de remerciements détaillés à la fin. En Angleterre, ce type de roman à base de personnages réels devient de plus en plus fréquent et apprécié. Je n'aurais jamais osé faire ce genre de saut il y a trente ans. C'est la deuxième fois.

Vous avez écrit un autre roman sur un écrivain, L'Auteur ! L'Auteur !

Dans Pensées secrètes, la femme était déjà un écrivain, mais inventé. En tout cas, en partie. Dans L'Auteur ! L'Auteur !, Henry James et son échec au théâtre étaient au centre du roman. Avec Wells, ce qui m'a fasciné, c'est plutôt le succès énorme de celui qui était bien plus qu'un écrivain, peut-être parce qu'il était finalement moins écrivain que James. Si j'avais à m'identifier à quelqu'un en tant que romancier, ce serait à James, à sa souffrance d'être mésestimé. Nous souffrons tous de nous voir non reconnus, et même si, au théâtre, cela n'a pas été pour moi un échec, je comprends sa blessure dans ce monde cruel. Mais en tant qu'homme, je ne me reconnais pas dans ce grand bourgeois américain à l'homosexualité refoulée qu'était James. Davantage, ce serait à Wells que je pourrais m'identifier en tant qu'homme. James et Wells se sont d'ailleurs rencontrés et mon roman raconte le rapport condescendant du maître et d'un disciple de plus en plus critique. Les écrivains sont des animaux peu enclins à la bonté.

Vous inscrivez-vous dans le genre défini par Truman Capote comme "non fiction novel" ?

Non. On peut sans doute prétendre à l'exactitude absolue des faits sans aucune invention pour des romans construits à partir d'une enquête contemporaine. Mais sont-ce encore des romans ? Et Capote lui-même triche avec ses principes. Pour des romans sur des personnages du passé, l'enquête est impossible, sauf à travers des sources, donc à travers des inventions ou des interprétations.

Où est alors la vérité ?

Partout et nulle part. Entre les lignes. Entre les êtres. Qu'est-ce que la vérité brute, nue, une ? Même pour un historien ou un biographe. Relisez mon roman Les quatre vérités ou la pièce que j'en ai tirée : La vérité toute nue. La vérité est un puzzle auquel manqueront toujours des pièces. Je joue sur les mots dans tous mes titres, et ce dernier, A Man of Parts (traduit en français par Un homme de tempérament, NDLR), peut s'entendre aussi comme "un homme en morceaux". D'ailleurs, mon roman est aussi un livre en pièces. À la fin de sa vie, Wells a anticipé les théories du structuralisme postmoderne dans une thèse pour la London University, qui fut un peu déroutée mais ne put faire autrement que de la valider. Il y défend l'idée que le sujet n'est pas un et immuable, mais multiple, changeant et même éclaté. "Je" est une illusion. "Je" est un autre. Pas un autre, plusieurs autres.

Wells était-il ce type d'homme que Freud a décrit : désirant la femme qu'il n'aime pas et aimant celle qu'il ne désire pas ?

Pour l'essentiel, oui. Il y eut une exception : l'écrivain Amber Reeves, une maîtresse qui l'appelait "maître". Pour le reste, il dit de lui-même : "Je n'ai jamais été un grand amouriste, mais j'ai profondément aimé plusieurs personnes." Un monstre, si vous voulez, mais séduisant et pathétique.

Est-ce un roman autobiographique ?

Non, même si Wells et moi sommes de la même origine sociale, lower middle class du Sud londonien n'ayant pas fréquenté les public schools, ni Oxford et Cambridge, mais des universités de second ordre. Pour le reste, rien de commun. Je suis catholique et Wells était violemment anti-catholique ; il était scientiste alors que je ne m'intéresse à la science comme donnée littéraire que depuis une dizaine d'années ; il était politiquement engagé alors que je ne le suis aucunement. Je me suis intéressé uniquement au personnage hors norme, à son énergie pédagogique d'autodidacte souhaitant partager une culture qu'il n'avait pas reçue enfant ; à sa multiplicité de talents et de relations intellectuelles et amoureuses ; à son impact énorme sur les gens. Peut-être est-il un peu mon double, mon idéal, celui que j'aurais aimé être, ou que je suis sans le savoir : progressiste la vie durant et à la fin persuadé que le monde va à sa perte ; un peu dépressif quand il n'écrivait pas comme un maniaque ("la vie est un courant noir, sans but, cruel, abyssal", dit-il). Peut-être suis-je comme lui assez pessimiste, mais riant de tout et de moi-même. Je me retrouve dans cette polarité maniaco-dépressive, encore que je sois rarement en phase maniaque et le plus souvent déprimé, et au mieux manquant radicalement d'assurance dans ce que je suis et ce que je fais. Et la vieillesse ne m'arrange pas. Je suis sourd, et écrire me demande de plus en plus d'efforts, de réécriture et suscite de plus en plus de dégoût et de découragement. Je ne saurais plus faire un livre en quelques mois. Tout prend beaucoup plus de temps quand on sait qu'on n'en a plus tellement devant soi.

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