Au XIe siècle, sur fond de lutte acharnée entre le Pape et l’Empereur,
l’Occident connaît une révolution qui bouleversera à jamais son visage :
c’est la réforme grégorienne, inspirée du nom du pape Grégoire VII,
avec des effets qui durent encore aujourd’hui.
Les réformateurs du XIe siècle veulent corriger les mœurs, restaurer la
discipline monastique et, de manière générale, séparer nettement dans la
société les clercs et les laïcs, au profit des premiers. Ils conduisent
à la querelle des investitures, marquée par des affrontements violents.
En voulant trancher la question de l’équilibre des pouvoirs entre deux
puissances à vocation universelle – l’Empire et la Papauté –, la réforme
grégorienne désacralise le pouvoir politique et conduit à un profond
renouvellement des élites d’Église.
Paradoxalement, en séparant le temporel du spirituel, elle participe à
son corps défendant à l’émergence d’un pouvoir laïc à la tête des
sociétés médiévales. Marquant à jamais la chrétienté latine, l’œuvre des
papes Léon IX, Grégoire VII et Urbain II constitue l’une des matrices
du développement politique, religieux et culturel européen.
22 avril 1073 - Grégoire VII et la réforme grégorienne
La réforme grégorienne a fait l’objet de nombreux travaux depuis un
siècle, mais jamais aucun n’aura été aussi accessible et aussi lumineux
sur la façon dont ce lointain passé a façonné notre présent.
Hildebrand devient pape le 22 avril 1073 et prend le nom de Grégoire VII.
Ancien moine de Cluny,
il s'est acquis une excellente réputation auprès des Romains en servant
les papes précédents, Léon IX et Alexandre II. Il est proclamé pape par
la foule romaine.
Le nouveau pape modifie profondément l'Église catholique pour la
rendre plus morale et surtout plus indépendante des seigneurs et des
souverains.
Ses mesures restent connues sous le nom de réforme grégorienne.
Certaines, toutefois, ont déjà été ébauchées par ses prédécesseurs sous
son inspiration.
Les prémices de la réforme grégorienne
Les prémices de la réforme grégorienne apparaissent avec Léon IX,
pape imposé à Rome en 1049 par Henri III, le plus énergique de tous les
empereurs germaniques. Pendant les cinq années de son pontificat, Léon
IX n'a de cesse de parcourir l'Occident pour réformer l'institution
ecclésiastique eet résoudre deux problèmes majeurs :
- la simonie, c'est-à-dire le trafic contre argent des biens d'Église.
- le mariage et le concubinage des prêtres, précédemment tolérés :
les prêtres mariés sont en effet tentés de s'enrichir et de constituer
une rente au profit de leurs descendants, privant l'Église des moyens
matériels indispensables à l'accomplissement de sa mission.
Pour réussir dans son entreprise, le pape qui, au début du Moyen
Âge, était simplement considéré comme l'évêque de Rome, veut imposer sa
prééminence sur les autres évêques. C'est ainsi que s'élargit le fossé entre l'Église de Rome, qui prétend au qualificatif de catholique, c'est-à-dire universelle, et l'Église de Constantinople, qui se qualifie d'orthodoxe (en grec : conforme à la vraie Foi).
L'action de Grégoire VII
Grégoire VII commence par proscrire le mariage et le concubinage
des prêtres puis condamne fermement la simonie. Il s'attelle ensuite à
la formation des curés qui, trop souvent incultes, se souciaient assez
peu d'évangéliser leurs ouailles.
Enfin, par vingt-sept propositions célèbres de 1075 (le Dictatus papae), il réserve au collège des cardinaux l'élection des papes.
Il condamne les investitures laïques, c'est-à-dire le droit
qu'avaient les souverains de nommer les évêques. C'est une révolution
dans un monde où, selon la tradition antique, on est encore porté à
penser que l'empereur est le représentant de Dieu sur la Terre et que le
clergé a vocation à le servir.
Dans une nouvelle série de nos [Cours d’Histoire], Arnaud Fossier
présente la réalité du pouvoir des papes et de l’Eglise à l’époque
médiévale, notamment dans ses rapports avec le pouvoir séculier et donc
le pouvoir des rois. Ce deuxième volet est consacré à la réforme
grégorienne. Arnaud Fossier, interrogé par Christophe Dickès, répond aux
questions suivantes:
- Qu’est-ce que la Réforme grégorienne, quand intervient-elle et
pourquoi mettre une majuscule au mot « Réforme » ?
- D’où vient cette Réforme ? Quelles en sont les raisons, contextuelles,
mais aussi plus structurelles ? Et quels en sont les inspirateurs ?
- Cette Réforme a-t-elle rencontré des oppositions, de la part de
l’empereur notamment ? Et que nous dit-elle du rôle politique de
l’Église à cette époque ?
- Peut-on aller jusqu’à dire qu’elle est le moment de l’instauration
d’une « théocratie » pontificale à l’échelle de la Chrétienté ?
- Cette Réforme n’est-elle qu’une réforme de la tête de l’Église, in
capite comme on le dit à l’époque ? Ses effets se sont-ils faits sentir à
d’autres échelles ou d’autres niveaux ?
- Comment ont évolué les rapports entre le clergé et les fidèles suite à
cette réforme ?
L’invité: Normalien et ancien membre de l’École française de Rome,
Arnaud Fossier est actuellement Maître de conférences en histoire à
l’université de Bourgogne. Ses recherches portent sur le gouvernement de
l’Église et l’Italie médiévale. Il a publié à l’Ecole française de
Rome: Le bureau des âmes, Écritures et pratiques administratives de la
Pénitencerie apostolique (XIIIe-XIVe siècle).