Film de Fabrice Du Welz Drame et thriller 22 janvier 2020
Avec Thomas Gioria, Fantine Harduin, Benoît Poelvoorde
Paul, un jeune garçon solitaire, rencontre Gloria, la nouvelle patiente de la clinique psychiatrique où travaille sa mère. Tombé amoureux fou de cette adolescente trouble et solaire, Paul va s’enfuir avec elle, loin du monde des adultes...
Paul a 14 ans. Plus enfant que déjà adolescent, il passe des journées solitaires dans la forêt qui entoure l’institut psychiatrique où sa mère est femme de ménage. Paul parle aux oisillons tombés du nid, qu’il soigne avec abnégation. Enfant un peu sauvage, il tombe en fascination devant Gloria, qui a son âge. Nouvelle patiente de l’institut, Gloria est trouble et incandescente. Gloria veut s’enfuir et rejoindre la maison de son grand-père, quelque part sur la côte bretonne. En adoration devant la jeune fille, Paul scelle un pacte avec elle. Commence pour les deux adolescents une cavale loin des adultes qui les oppressent.
Et revoici Gloria, héroïne fétiche de Fabrice du Welz, projection paganiste et féminine du réalisateur. Fantôme dans sa première itération, qui provoquait le Calvaire (2004) de Marc Stevens (Laurent Lucas), on la découvrait à l’âge mûr (sous les traits de Lola Duenas) dans Alléluia (2014), formant un couple criminel avec Michel (Laurent Lucas). Du Welz et son coscénariste Romain Protat remontent cette fois aux sources du personnage.
Ces trois œuvres forment une trilogie de la passion - bientôt tétralogie avec le nouveau projet de du Welz, Inexorable. Malgré la connotation religieuse de leurs titres, la passion dont il est question est émotionnelle, avec le déséquilibre psychologique et les souffrances sous-jacentes.
Dans ce récit à rebours du parcours de Gloria, le réalisateur, tel un sculpteur, procède par épure. Son cinéma se fait moins démonstratif, plus naturaliste dans les décors envoûtants des Ardennes belgo-françaises, autre motif récurrent. Faisant sienne une citation de Boileau-Narcejac, du Welz transforme par l’imagination un décor de "vie quotidienne" "en monde fantastique", projection de la folie à deux de Paul et Gloria. La lumière domine aussi ici, idéalement magnifiée aux différentes heures de la journée. Calvaire reflétait l’hiver d’une vie, Alléluia l’automne de la passion. Adoration en est l’été, vrillé d’accès de fièvre. La violence est moins exposée qu’exprimée dans l’intensité des sentiments.
Thomas Gioria (révélé dans Jusqu’à la garde) confère à Paul une parfaite fragilité et l’innocence qui explique sa relative soumission à Gloria. Fantine Harduin (Happy End de Michael Haneke) habite Gloria en dosant charisme, fragilité et folie brute (dans les faits une cyclothymie). Leur relation trouble est le cœur vibrant d’équilibre du film. Mais ce tandem d’adolescents solitaires trouve un contrepoint magistral en Hinkel (Benoît Poelvoorde), gardien d’un camping abandonné. Hinkel, c’est peut-être Paul à l’âge adulte. Ou, déjà, une projection de Bartel (Jacky Berroyer), le dernier amant de Gloria qui travestissait Marc Stevens dans Calvaire. Poelvoorde signe une de ses meilleures interprétations, veuf fatigué et blessé. La grue cendrée (qui s’unit pour la vie) tatouée sur son dos est un écho aux oiseaux que sauve Paul.
De quoi ça parle : Le jeune Paul s'enfuit avec Gloria, patiente d'une clinique psychiatrique. Leur voyage sera mouvementé, difficile, mais surtout sublime.
Pourquoi c'est génial : Injuste bide en salles, l'avant-dernier film de Fabrice Du Welz, Adoration, est peut-être un de ses plus beaux. En effet, le récit qu'il déploie s'accorde particulièrement bien à son style. Le cinéaste y retrouve après la parenthèse Message from the King son 16mm adoré, avec lequel il travaille la texture de l'aventure de ses deux jeunes héros. Comme une sorte de Bonnie et Clyde juvénile et incandescent, Adoration est une véritable ode à l'atmosphère particulière qui baigne les cavales purement cinématographiques.
Après un point de départ très dur, l'épopée se conforme progressivement aux fantasmes de ses protagonistes, fantasmes qui motivent leur relation et les enfoncent dans un univers où la solitude est reine, jusqu'au point de non-retour symbolisé par le personnage de Benoît Poelvoorde. L'acteur, dans son meilleur rôle, campe une sorte d'anti-Kurtz d'Apocalypse Now. C'est un vrai personnage de cinéma et un ermite qui préfère se terrer dans la lumière que dans l'obscurité.
L'ultime destination, un dernier plan aussi techniquement spectaculaire que sensiblement poétique, résume bien la conception du 7e art du metteur en scène, conception qu'on pourrait croire gommée par les patines numériques des services de SVoD : de la lumière et des personnages qui s'impriment sur la pellicule, et donc sur la rétine.
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