Jared Kushner, le discret beau-fils de Donald Trump et mari d’Ivanka, n’était pas spécialement bon à l’école. Mais il avait un avantage: un père richissime. Selon The Price of Admission, publié en 2007, le promoteur immobilier Charles Kushner avait fait un don de 2,5 millions de dollars à l’Université Harvard, une manière de s’assurer que son fils puisse y entrer. Cette anecdote, racontée par le journaliste Daniel Golden, refait surface alors qu’une affaire de pots-de-vin dans les milieux académiques éclabousse les Etats-Unis et révèle les dessous peu reluisants des admissions dans les universités prestigieuses.
A travers une fondation
Prenez des parents aisés et peu scrupuleux qui veulent le meilleur pour leurs enfants, ajoutez-y de l’argent, beaucoup d’argent, la tentation facile de graisser des pattes et d’actionner des pistons, et mélangez le tout dans un système ultra-sélectif et élitiste: vous aurez le cocktail explosif qui fait ces jours les grands titres de la presse américaine. Mardi, le Département de la justice a annoncé l’inculpation d’une cinquantaine d’individus, parmi lesquels des personnalités du monde de la finance, de l’immobilier ou d’Hollywood, ainsi que de riches avocats.
La plupart d’entre eux ont eu recours à des intermédiaires. Un homme est au cœur de l’affaire pour avoir bâti un véritable empire de la corruption: un certain William Singer, un Californien à la tête d’un réseau actif entre 2011 et 2019, inculpé notamment pour extorsion et blanchiment. Sa peine sera prononcée le 19 juin prochain. Il aurait, à travers une organisation, la Key Worldwide Foundation, engrangé près de 25 millions de dollars en permettant d’ouvrir les portes de Stanford, Yale, Georgetown, des Universités de Wake Forest, de Californie du Sud (USC), de Los Angeles (UCLA) ou encore du Texas, à des parents aisés. Ou plutôt à leurs rejetons, d’ailleurs pas forcément au courant des manigances diaboliques de leurs aînés.
Quand la fiction rejoint la réalité
Felicity Huffman, qui joue Lynette Scavo, une mère névrosée dans Desperate Housewives, fait partie des parents qui ont recouru à la fondation de William Singer. Elle a été arrêtée chez elle, à Los Angeles, par le FBI, puis libérée après avoir versé une caution de 250 000 dollars. Selon les documents judiciaires, elle aurait fait un don de 15 000 dollars à la fondation, de l’argent qui aurait en fait servi à enjoliver les résultats d’examens de sa fille aînée. William Singer avait des complices parmi les correcteurs.
Comme le rappellent The Hollywood Reporter et Buzz Feed, la scène a dû rappeler quelque chose à l’actrice. Dans la première saison de Desperate Housewives, Lynette Scavo et son mari réfléchissaient aux moyens de faire admettre leurs jumeaux dans une école privée prestigieuse. Et Lynette avait conclu qu’un don… de 15 000 dollars ferait l’affaire.
Lori Loughlin, l’actrice qui a campé le rôle de Becky dans la série La Fête à la maison, figure également sur la liste des parents inculpés. Sa caution a été fixée à 1 million de dollars. Idem pour son mari, le designer Mossimo Giannulli. Le couple comparaîtra le 29 mars devant un tribunal fédéral de Boston. Les faits qui leur sont reprochés sont plus graves. Ou, du moins, les montants en jeu sont plus élevés. Ils auraient déboursé près d’un demi-million de dollars pour que leurs deux filles, dont l’une a le statut d’influenceuse sur les réseaux sociaux, soient acceptées à l’USC.
«Une culture de corruption et de cupidité»
Ce scandale met en exergue les dérives et disparités qui découlent du système ultra-sélectif des admissions aux grandes universités. Pour entrer dans les meilleurs établissements, un jeune Américain doit faire beaucoup de sacrifices. Il multiplie en principe ses postulations, en espérant recevoir une bourse. Le processus est long, complexe et les élèves s’y engagent avec des chances inégales: provenir d’une famille qui a les moyens peut aider, notamment lorsqu’il s’agit de se faire épauler par des conseillers qui profitent d’un juteux marché.
«Nous considérons que toutes les personnes inculpées aujourd’hui ont contribué à favoriser une culture de corruption et de cupidité qui a biaisé le système pour les étudiants qui essayaient d’intégrer ces facultés de façon honnête», a dénoncé, mardi en conférence de presse, l’agent du FBI Joseph Bonavolonta, chargé de l’enquête.
Le scandale révélé mardi ne constitue probablement que la pointe de l’iceberg. D’autres parents pourraient être inquiétés. «Ces révélations de tricherie de la part de familles déjà bien nanties et introduites sont exaspérantes, mais ce n’est pas vraiment surprenant», écrit Frank Bruni, chroniqueur du New York Times. «Quiconque s’y connaît en matière de concurrence acharnée pour des places précieuses dans les écoles de haut niveau se rend compte à quel point cela peut être laid et injuste.»
Des enquêtes internes lancées
Les directions des universités elles-mêmes ne sont pour l’instant pas visées, mais certaines ont lancé préventivement des enquêtes internes. Des entraîneurs sportifs universitaires font par contre partie des inculpés pour avoir accepté des sommes grassouillettes sans sourciller, et admis dans leurs équipes des élèves sans affinités sportives particulières. En clair: de fausses performances sportives ont parfois été mises en avant. Cela a été le cas à l’USC, dans l’affaire des filles de Lori Loughlin.
Toujours selon des documents judiciaires, l’ancien entraîneur de l’équipe féminine de football de Yale a plaidé coupable il y a environ un an pour avoir accepté des pots-de-vin. Il a ensuite collaboré avec la justice et permis aux procureurs de recueillir d’autres témoignages.
Donald Trump Jr, le fils aîné du président, n’a pas pu s’empêcher de réagir sur Twitter en apprenant l’inculpation des actrices, ce qui lui a valu des moqueries. Il y a quelques jours, l’ancien avocat de son père, Michael Cohen, confessait lors d’une audition publique devant le Congrès que Donald Trump lui avait demandé de menacer les directions des établissements scolaires qu’il avait fréquentés pour que ses notes ne soient pas divulguées.
ÉDIFIANT - Disponible ce mercredi 17 mars, "Varsity Blues" remonte le fil de la vaste fraude ayant permis à des familles américaines fortunées d’acheter la place de leurs enfants dans les universités les plus huppées du pays.
Des flashs qui crépitent sans cesse. Des caméras qui suivent chacun de ses mouvements. Et des journalistes qui hurlent son nom dans l’espoir d’un commentaire. L’expérience était quelque peu différente de celle qu’avait l’habitude de vivre Felicity Huffman sur les tapis rouges ce jour de septembre 2019, où elle a été condamnée à 14 jours de prison.
Six mois plus tôt, le FBI annonçait que la star de la série Desperate Housewives était l’une des cinquante personnes inculpées dans le cadre d’un scandale sans précédent. La plus vaste fraude aux admissions à l’université jamais instruite par le ministère de la Justice américain, selon les autorités.
Rick Singer, l'homme à l'origine d'un système de corruption bien huilé
De riches parents inquiets pour l’avenir de leur progéniture ont payé des intermédiaires pour faciliter l’entrée de leurs enfants dans les universités les plus prestigieuses des États-Unis comme Yale, Stanford ou Georgetown. Des millions de dollars dépensés en pots-de-vin, des célébrités humiliées et des élites rattrapées par la justice. Même Hollywood n’aurait pas rêvé d’un tel scénario qui n’a pu qu’inspirer Chris Smith et Jon Karmen.
Déjà aux manettes du passionnant documentaire retraçant le fiasco du Fyre Festival, le duo retrace la genèse d’un système né dans l’esprit d’un seul homme. Rick Singer. La vraie star du film disponible sur Netflix le 17 mars, c’est lui. Pendant 1h40, Varsity Blues : le scandale des admissions universitaires dresse le portrait en creux d’un ambitieux qui a su jouer des faiblesses de ses interlocuteurs.
Le documentaire s’appuie sur des témoignages de journalistes, d’avocats, de spécialistes de l’éducation, mais aussi sur d’anciens clients qui aident à cerner le personnage. Rick Singer, c’est "une coiffure de moine" et un survêtement en guise de costume. Une dégaine improbable pour cet ancien entraîneur de basket reconverti en consultant indépendant. "Il était toujours habillé comme s’il venait de jouer au basket", commente une interviewée. "Dans sa tête, il coachait des jeunes pour l’université. Donc il s’habillait comme un coach", insiste une autre.
Pas tellement charismatique, pas très avenant non plus, l’homme né en 1960 est incroyablement méthodique. Il use d’ailleurs d’une métaphore implacable pour séduire les parents fortunés. "La 'grande porte', c’est l’admission normale. La 'porte dérobée', c’est faire un don - soit donner dix fois plus d’argent. J’ai créé cette sorte de 'porte de secours', car la 'porte dérobée' n’offre aucune garantie. Ils vous accorderont juste un peu plus d’attention. Mes clients veulent une réussite assurée", explique-t-il lors d’un coup de fil.
Les conversations enregistrées par le FBI sont reconstituées par des acteurs
À l’écran, Rick Singer prend les traits du comédien Matthew Modine (Full Metal Jacket). Car les réalisateurs ont pris le parti de reconstituer avec des acteurs les véritables conversations que le FBI a pu enregistrer entre les différents protagonistes de cette affaire. Une mise en scène étrange au départ. Mais diaboliquement efficace. À chaque nouvelle famille impliquée, le visage du spectateur se crispe davantage comme envahi par une colère noire.
De 2011 à 2018, le consultant aurait perçu environ 25 millions de dollars pour soudoyer les entraîneurs et administrateurs d’universités. Pour ouvrir sa chère "porte de secours", trois solutions. Soit tricher aux examens d’entrer, en les faisant passer par une autre personne que l’enfant pour s’assurer d’un bon score. Soit inventer un parcours sportif aux lycéens dans des disciplines moins exposées comme la voile ou l’aviron, allant jusqu’à faire des montages photos comme preuves. Soit les deux.
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