"Ceci n'est pas un livre... C'est une insulte sans fin, un crachat à la face de l'art, un coup de pied aux fesses de Dieu, à la Destinée, l'Amour, la Beauté..." En quelques phrases, Henry Miller a tout dit. Écrit à Paris, Tropique du Cancer défie toutes les lois sages de la littérature. L'œuvre, autobiographique, se veut autant un exercice de libération que d'affirmation de soi de l'écrivain, qui s'y livre tout entier, au fil de ses années vécues en France, où il est arrivé en 1929. À travers impressions et souvenirs, c'est l'existence parisienne de Miller qui jaillit des rues, des hôtels, des cafés de Montparnasse ou de Clichy, des brèves rencontres, des amours furtives, des discussions, des beuveries avec des écrivains et des artistes: un souffle de vraie vie passe, frémissante, conjuguée sur le mode de l'expérience la plus intime, et ponctuée de moments de misère et de faim, de découragement et de solitude. Célébré par Cendrars, Tropique du Cancer fut publié en France grâce aux efforts d'Anaïs Nin, qui en signa la préface. Il fut d'abord interdit aux États-Unis, où, outre sa facture déroutante, on lui reprocha de miner les fondements mêmes de l'édifice social, de pervertir la jeunesse par son obscénité, son apologie des maisons closes et du sexe, et le recours abondant aux mots les plus crus. Il ne fut publié outre-Atlantique qu'en 1961. Vendu à plus d'un million d'exemplaires, le livre suscita aussitôt une soixantaine de procès pour pornographie. Suivi de Tropique du Capricorne, en 1938, il marqua profondément toute une génération d'écrivains - celle des Kerouac, des Ginsberg, des Mailer.
Henry Miller ou le picaro du Zen (1980 / France Culture)
J'avais marché les yeux bandés, à pas chancelants, hésitants ; j'étais
orgueilleux, arrogant, satisfait de mener la vie fausse et restreinte du
citadin; la lumière de la Grèce m'a ouvert les yeux, a pénétré mes
pores, a fait se dilater mon être tout entier.
J'ai retrouvé ma patrie; le monde avec le centre véritable, la
signification réelle de la révolution. Aucun conflit guerrier entre les
nations de la terre ne saurait troubler cet équilibre... Je refuse
catégoriquement toute qualité, dans l'avenir, qui serait inférieure à ce
titre de citoyen du monde que je me suis décerné en silence, debout
dans le tombeau d'Agamemnon.
En 1970, Henry Miller raconte sa vie d'écrivain et les aléas de son existence
Henry Valentine Miller 1891-1980 est un romancier, essayiste, épistolier, peintre
aquarelliste américain. Son oeuvre est largement autobiographique.
Né de parents d'origine allemande (fils d'un modeste tailleur), il est
un enfant de Brooklyn, et plus particulièrement de la rue dont il fait
son domaine.
Après de brèves études au City College de NewYork, il exerce divers
petits métiers (notamment chef des coursiers à la Western Union
Telegraph Company).
En 1923, il épouse June Edith Smith (rencontrée dans un dance palace de
Broadway), la seule femme qui compta dans sa vie (bien qu'il se fût
marié cinq fois), et celle qui hante la plupart de son œuvre, la
Mona-Mara des "Tropiques" et de "La Crucifixion en rose" (1949).
Au cours de cette union qui dura sept ans, Miller, incapable de
supporter la moindre contrainte extérieure, autodidacte absolu, fait le
serment de ne se consacrer qu'exclusivement à la littérature et
s'établit, dès 1930, à Paris, où, pendant dix années, il mène la vie de
bohème évoquée dans trois romans autobiographiques, "Tropique du Cancer"
(1934), publié grâce à la contribution d'Anaïs Nin, "Printemps noir"
(1936) et "Tropique du Capricorne" (1939).
Jugés pornographiques, ces ouvrages furent interdits de publication aux
États-Unis mais circulèrent clandestinement et contribuèrent à donner à
leur auteur une réputation d'avant-gardiste.
Il fuit la guerre en 1940 et retourne vivre dans son pays natal où des
voyages et rencontres lui inspirent quelques ouvrages parfois férocement
satiriques sur la civilisation américaine ("Le cauchemar climatisé",
1945 ; "Souvenir souvenirs", 1947), « qui n’a abouti qu’à créer un
désert spirituel et culturel ».
Farouche combattant du puritanisme anglo-saxon, il écrit la trilogie "La
Crucifixion en rose" : "Sexus" (1949), "Nexus" (1952), "Plexus" (1960).
Ses prises de position ont contribué à faire évoluer la société
américaine et occidentale dans son ensemble, en même temps qu’elles lui
permettaient de forger sa propre légende. Son œuvre, très
autobiographique, a considérablement marqué son époque, et influencé les
écrivains de la Beat Generation.
Miller était également un honorable pianiste amateur. En dehors de
l'écriture romanesque proprement dite, il entretint d'abondantes
correspondances avec nombre d'écrivains, artistes et autres
personnalités de son temps.
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