Nâzim Hikmet, partout célébré comme l'un des plus grands poètes de ce
siècle, est aussi l'un des témoins majeurs des tourmentes, des
révolutions, des tragédies et des combats de son temps. Treize années
passées dans les prisons turques, avant de connaître l'exil, ont fait de
lui un symbole, un porte-voix. Mais ce profil militant, loin de limiter
l'espace de son œuvre poétique, en assure au contraire l'élan, la
vérité, la force. C'est qu'à la sincérité d'un engagement, à la
générosité qui est chez lui une seconde nature, Hikmet ajoute la
simplicité et la grâce : sa poésie traduit comme aucune autre, dans une
langue directe, étonnamment pure, le rayonnement et les souffrances d'un
destin individuel qui ne se tient jamais à distance des aventures
collectives ni des sources de la mémoire populaire.
Poète banni (l'État turc a attendu 1993, soit trente ans après sa mort,
pour le réhabiliter), Nâzim Hikmet ne fut pourtant pas un poète maudit.
Censurés dans son pays, ses poèmes ont couru le monde et rencontré un
immense écho. Cette anthologie propose un parcours d'ensemble dans une
œuvre multiforme qui conjugue pièces lyriques, notations véhémentes,
instants saisis au vol, élégies et vastes fresques épiques. La poésie de
Nâzim Hikmet, sans jamais céder à la grandiloquence, participe d'une
ambition immense : changer l'ordre des choses en changeant l'image qu'on
en donne.
Nâzım Hikmet Ran est un poète turc, puis citoyen polonais.
Ambiance feutrée à Istanbul : Nâzim, enfant, est bercé par la poésie de
son grand-père Pacha, un haut fonctionnaire ottoman, et par sa mère,
Djélilé, artiste férue de culture française.
Révolté par l'occupation d'Istanbul par les puissances alliées après la
première guerre mondiale, exalté par la lutte des paysans turcs pour
l'indépendance et enthousiasmé par la révolution d'Octobre, il a tout
juste vingt ans quand il part à Moscou, en 1922.
Il retourne en Turquie en 1924, après la guerre d'indépendance, mais,
victime de persécutions, car c'est désormais un « rouge », il repart à
Moscou en 1926 et multiplie les allers-retours.
Communiste parce qu'il aime tout, passionnément, la liberté, son pays,
son peuple et ses femmes, il devient le génie en exil de l'avant-garde
turque.
De retour en Turquie, il est condamné en 1938 à vingt-huit ans
d'emprisonnement, car il a publié, en 1936, un éloge de la révolte,
L'Épopée de Sheik Bedrettin, ou le combat d'un paysan contre les forces
de l'Empire ottoman. Il est libéré en 1949 grâce à l'action d'un comité
international de soutien, formé à Paris par ses camarades Jean-Paul
Sartre, Pablo Picasso et Paul Robeson.
Hikmet est constamment surveillé. Il échappe miraculeusement à deux
tentatives de meurtre, mais ne parvient pas à être exempté du service
militaire, qu'on lui demande d'effectuer à cinquante ans. C'est la
guerre froide, et il milite contre la prolifération de l'armement
nucléaire.
Devenu membre très actif du Conseil mondial de la paix, le poète chante
l'Internationale, mais ne tait pas son rejet du stalinisme. Citoyen
polonais suite à la perte, immense, de la nationalité turque, il voyage
partout, pour tromper l'exil. En Europe, en Afrique et en Amérique du
Sud seulement, car les États-Unis lui refusent un visa.
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