mardi 16 mars 2021

Livre - La nuit spirituelle - Lydie Dattas


Lydie Dattas pour la réédition de "La nuit spirituelle " chez Gallimard sur Jean Genet

 « Un jour j'ai trouvé Jean Genet assis dans mon fauteuil. Alexandre l'avait rencontré dans la rue et, sachant mon admiration juvénile, l'avait invité chez nous. Le poète ne tarda pas à s'installer dans l'appartement voisin. Le soir même j'entrai joyeusement dans sa chambre pour discuter avec lui, exprimant sans censure mes désaccords à celui dont l'oeuvre avait bouleversé mes seize ans. Genet devint de glace. Le lendemain il signifia à Alexandre mon bannissement : « Je ne veux plus la voir, elle me contredit tout le temps. D'ailleurs Lydie est une femme et je déteste les femmes ». Cette parole qui me rejetait dans la nuit de mon sexe me désespéra. Trouvant mon salut dans l'orgueil, je décidai d'écrire un poème si beau qu'il l'obligerait à revenir vers moi. Surmontant mon désespoir j'écrivis "La Nuit spirituelle", pour le blesser aussi radicalement qu'il l'avait fait, lui rendant mort pour mort. Quand je posai ma plume, face à sa haine des femmes luisait le bloc de nuit de mon poème, lequel en lui donnant raison lui donnait tort. La semaine suivante on cogna à la porte : c'était Genet qui venait demander pardon. »

 Lydie DATTAS – La Foudroyée (France Inter, 2014)

"Un contexte d’écriture"


« La Nuit Spirituelle est un texte singulier. Sans doute parce qu’il a été écrit comme on jette un gant après un outrage. Le poème est précédé d’un texte de Lydie Dattas qui nous éclaire sur son origine. Lydie Dattas qui vouait une admiration immense à Jean Genet, l'avait grâce à son mari, rencontré chez elle. Enthousiaste et passionnée, souhaitant partager avec lui ses désaccords, croyant pouvoir en échanger et en débattre, elle fut au contraire soufflée par les paroles de Genet qui allaient la plonger dans une détresse profonde: « Je ne veux plus la voir, elle me contredit tout le temps. D’ailleurs Lydie est une femme et je déteste les femmes. » Cela fit à la jeune femme – elle avait alors vingt-huit ans – l’effet d’une gifle : « Je décidai d’écrire un poème si beau qu’il l’obligerait à revenir vers moi. »

La Nuit Spirituelle a été un long chemin d'écriture, long et douloureux à aboutir. Quand elle eut mis le point final à ce chant battant, quelques jours plus tard Jean Genet ayant reçu ce courrier lui fit une réponse qui figure d'ailleurs dans le livre édité chez Gallimard.

"Un chant qui pousse en dedans"


Lydie Dattas livre là vingt-deux poèmes d’une grâce extraordinaire.
La langue y est superbe et invite à voix haute.
Le cri d’une femme vingt-deux fois répété, dans une complexité croissante contre son assujettissement depuis l'aube des temps, y est d'une force et d'une beauté incroyable. Un éclat tranchant d’un noir profond, mais d’un noir vif, brillant, vivant. Ces mots touchent fort. Ils atteignent les êtres en creux et impressionnent.
Il y a dans ce poème, une intimité qui frappe sans laisser de place au hasard.
Ce poème, c’est est un animal. Ni captif, ni domestiqué. Ce poème, c’est un animal aux aguets. Comment faire entendre depuis la nuit dont elles sont captives, à quel point il reste à faire pour l’ « humanité en femmes ». Comment faire entendre que c’est une tragédie qui n’a jamais pris fin et qui ne se tarie pas. Faut -il un cri, comme celui -ci, qui comme un fleuve pourrait bien s’écouler sans fin?
Mais cette nuit c’est aussi l’obscurité qui permet d’épanouir le rêve, pas une obscurité macabre, une nuit en tant qu’elle est libératrice et fondatrice des grands élans et d’une forme de foi aussi. La nuit où l’on trouve plus de légitimité à dire, à parler. A parler pour repousser la peur. « Que je vienne à les proférer, les mots de soleil et de rose eux-mêmes s’assombriront, et je ne pourrai pas prononcer une parole sans que sur elle se couche l’ombre de la malédiction. » Extrait de La Nuit Spirituelle.

Lydie DATTAS – Entretien avec Laure Adler (France Culture, 2010)

 

Ce chant est celui des funérailles de l’ « Être-Femme ».
Et la rage commence là. La rage commence par des funérailles somptueuses.
Lydie Dattas va au bout du sous-entendu de Genet et révèle la malédiction absolue: elle fait l’aveu des bassesses et de la médiocrité de l’âme et de l’esprit féminin. Elle décide de retourner l’arme contre Elle(s) pour percuter l’esprit assassin qui en face ne pourra ainsi plus se retourner. Cet aveu devient une stratégie guerrière. La stratégie d’une vaincue qui se relève pour livrer bataille, et qui même soumise restera en quête, en sang et en eau, en foi. C’est un grand malheur lumineux, éclairé, combattif.

Comment alors résister en tant qu’artiste au désir fougueux et à l’extrême nécessité de porter ces mots. D’en faire entendre la grammaire du sensible. De le hisser jusqu’à l’aube, de le nourrir de son souffle et de l’incarner dans sa peau.

 

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