Film grec de Yorgos Lanthimos avec Christos Stergioglou, Michèle Valley, Aggeliki Papoulia, Christos Passalis, Mary Tsoni.
"Canine" fait rimer patriarcat et Kafka
Yorgos Lanthimos réalise l'un des films les plus cruels qui soient envers la famille.
La famille - les sorties de cette semaine en témoignent - est une mine d'or pour la représentation des passions. On ne sait si l'héritage antique y est pour quelque chose, mais deux films grecs ont récemment affronté ce sujet, avec une féroce envie d'en découdre.
Strella de Panos H. Koutras, sorti il y a quinze jours, racontait par quel tortueux chemin un prostitué transsexuel finissait par coucher avec son père. On découvre aujourd'hui, avec non moins de stupeur, Canine, le deuxième long métrage de Yorgos Lanthimos, qui dépasse Strella en virulence.
Canine est l'un des films les plus haineux, les plus méchants, les plus cruels de l'histoire du cinéma à l'égard de la famille. La charge est d'autant plus horrifique que la forme adoptée est celle d'une fable presque paisible, d'une allégorie absurde, dont les postulats, relativement invraisemblables, sont développés avec une telle assurance qu'ils finissent par nous convaincre sinon de la réalité, du moins de la justesse de ce que l'on voit.
Cette logique kafkaïenne s'applique à une famille que le père, industriel prospère, a coupée du monde, avec le consentement tacite de son épouse. Trois enfants adultes, deux soeurs et un frère, y végètent, cloîtrés derrière les hauts murs de la villa familiale, sans autre idée du monde que celle que leur ont inculquée leurs parents.
Cette idée tient que la famille doit être préservée de toute influence extérieure, pour constituer une entité assujettie au totalitarisme d'un pater familias à la monstruosité débonnaire.
La malédiction du sexe
Cette logique délirante est mise en oeuvre à travers un ordonnancement strict du monde, qui confine autant à la terreur qu'au comique. Téléphone caché, télévision réservée à la diffusion de films de famille, jeux débiles et régressifs, affabulation d'un au-dehors rempli de puissances monstrueuses, lexique détourné de sa signification (une carabine est ainsi un bel oiseau blanc ; une foufoune, une grande lampe).
Le ver dans ce fruit édénique, c'est évidemment la malédiction du sexe, qui travaille les grands enfants innocents et les rend à l'occasion agressifs. Après avoir loué les services d'une employée de son usine pour satisfaire les pulsions de son fils, le père trouve ainsi une solution encore plus confortable, dans l'art de cultiver l'entre-soi.
Lanthimos filme tout cela au cordeau, calmement, presque somptueusement, satirisant avec un humour à froid les valeurs patriarcales d'une société que la jeunesse de son pays, par une curieuse coïncidence, aura entrepris au même moment de violenter dans la rue.
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